« Or c’est précisément la liberté du vouloir qui est aujourd’hui en question… »
Je fais comme je veux ! C’est mon choix ! Mots qui résonnent avec éclat dans la sphère médiatique et dans notre quotidien, comme s’ils étaient l’évidence même. Exclamations que l’on peut juger à l’aune de l’interrogation de Shopenhauer sur le libre arbitre. Le pouvoir vouloir existe-t’il ?
« Le concept empirique de la liberté nous autorise à dire : « Je suis libre si je peux faire ce que je veux ; mais ces mots « ce que je veux » présupposent déjà l’existence de la liberté morale. Or c’est précisément la liberté du vouloir qui est maintenant en question, et il faudrait en conséquence que le problème se posât comme suit : « Peux-tu aussi vouloir ce que tu veux ? » — ce qui provient de la question de savoir si la volonté dépend de la volonté d’un autre qui te précède. Admettons que l’on répondît par l’affirmative à cette question : aussitôt il s’en présenterait une autre : « Peux-tu aussi vouloir ce que tu veux ? » et l’on régresserait ainsi à l’infini en remontant toujours la série des volontés, et en considérant chacune d’elles comme dépendante d’une volonté antérieure ou plus profonde, sans jamais parvenir sur cette voie à une volonté primitive, susceptible d’être considérée comme exempte de toute relation et de toute dépendance. Si d’autre part, la nécessité de trouver un point fixe nous faisait admettre une pareille volonté (…) nous pourrions choisir pour volonté libre et inconditionnée la première de la série (…) ce qui ramerait la question à cette autre fort simple : « Peux-tu vouloir ? » Suffit-il de répondre affirmativement pour trancher le problème du libre arbitre ? Mais c’est là précisément ce qui est en question, et qui n’est pas réglé. (p.26)
« (…) il a fallu à fin de pouvoir néanmoins étendre à la volonté le concept de liberté, le modifier (…) Ceci arriva lorsqu’on pensa le concept de liberté seulement en général en l’absence de toute nécessité. » (p.26-27)
« On entend par nécessaire tout ce qui résulte d’une raison suffisante donnée. » (p.27)
« Il faudrait donc que la liberté, dont le caractère essentiel est l’absence de toute nécessité, fût l’indépendance absolue à l’égard de toute cause, c’est-à-dire la contingence et le hasard absolus. » (p.28)
« Quoi qu’il en soit, le mot libre signifie ce qui n’est nécessaire sous aucun rapport, c’est-à-dire ce qui est indépendant de toute raison suffisante. » (p.28).
« Une volonté libre, avons-nous dit, serait une volonté qui ne serait déterminée par aucune raison, c’est-à-dire par rien, puisque toute chose qui en détermine une autre est une raison ou une cause ; une volonté dont les manifestations individuelles (volontés) jailliraient au hasard et sans sollicitation aucune, indépendamment de toute liaison causale et de toute règle logique (…) Toutefois, il ne manque pas un terme technique pour désigner cette notion si obscure et si difficile à concevoir : on l’appelle liberté d’indifférence. » (p.29)
« L’hypothèse d’une pareille liberté d’indifférence entraîne immédiatement l’affirmation suivante (…) : à savoir qu’un homme placé dans des circonstances données et complètement déterminées par rapport à lui, peut, en vertu de cette liberté d’indifférence agir de deux façons diamétralement opposées. » (p.30)
Voir aussi Kafka sur lui-même.