Dans cette lettre adressée à Staline, Cholokhov s’insurge contre les réquisitions de blé dont étaient victimes les paysans du Kouban en 1933, région alors en pleine famine, résultat de la collectivisation forcée et des désordres qu’elle a enclenchés. Des propos qui rappellent ceux de Grossman sur la famine en Ukraine au même moment (voir citation « Vassili Grossman sur la famine en Ukraine« ). Pourtant Cholokhov semblait adhérer pour ce qui de l’Ukraine à la thèse officielle que la crise était due au sabotage des koulaks, les paysans dit « riches » (voir réflexion sur la citation « Canetti sur l’autodestruction« ).
Voire aussi des extraits de la réponse de Staline, dans la réflexion attachée.
« Camarade Staline ! « Le district Vechenski, comme beaucoup d’autres districts , n’a pas rempli le plan de livraison de céréales non pas à cause de quelque sabotage koulak, mais à cause de la mauvaise direction locale du Parti. (…) En décembre dernier ; le Comité régional du Parti a envoyé, pour « accélérer » la campagne de collecte, un plénipotentiaire, le camarade Ovtchinnikov (…) qui a pris les mesures suivantes :
1) prendre toutes les céréales disponibles, y compris » l’avance » donnée par la direction des kolkhozes aux kolkhoziens pour l’ensemencement de la récolte future,
2) répartir les livraisons dues par chaque kolkhoze à l’Etat par foyer.
Quels ont été les résultats de ces mesures ? Quand ont commencé les réquisitions (…) les paysans se sont mis à cacher et à enterrer le blé. Maintenant, quelques mots sur les résultats chiffrés de toutes ces réquisitions. Céréales « trouvées » : 5930 quintaux. (…) Et voici quelques méthodes employées pour obtenir ces 593 tonnes
La méthode du froid. (…) On déshabille le kolkhozien et on le met « au froid « , tout nu, dans un hangar. Souvent, on mettait les kolkhoziens « au froid » par brigades entières.
La méthode du chaud. On arrose les pieds et les rebords des jupes des kolkhoziennes de kérosène et on y mettait le feu. Puis on l’éteignait. ….
Dans le kolkhoze Napolovski, un certain Plotkine, plénipotentiaire du Comité de district, forçait les kolkhoziens interrogés à s’allonger sur un poêle chauffé à blanc, puis il les « déchauffait » en les enfermant nus dans un hangar. (…)
Dans le kolkhoze Lebiajenski, on alignait les kolkhoziens le long d’un mur et on simulait une exécution. (…) Je pourrais multiplier à l’infini ce genre d’exemples. Ce ne sont pas des « abus » , non, c’est la « méthode « courante de collecte du blé. (…)
S’il vous semble que ma lettre est digne de retenir l’attention du Comité central, envoyez donc ici de véritables communistes qui auront le courage de démasquer tous ceux qui ont porté dans ce district un coup mortel à la construction kolkhozienne. (…) Vous êtes notre seul espoir «
On connaît la réponse de Staline, qui persiste à rendre coupable les paysans de leurs malheurs :
« (Ils) faisaient grève, faisaient du sabotage et étaient prêts à laisser les ouvriers et l’armée Rouge sans pain! Le fait que ce sabotage était silencieux et apparemment pacifique ne change rien au fond de l’affaire, à savoir que les respectés laboureurs mènent une guerre de sape contre le pouvoir soviétique. Une guerre à mort, cher camarade Cholokhov »
Lettre de Staline à Cholokhov , 6 mai 1933, in Voprosy Istorii (Questions d’histoire), 1994/3, pp. 67-68.