Winnicott sur la frustration du jeune enfant

« Peut-être devrions-nous limiter nos efforts conscients à les empêcher de sombrer dans le désespoir (…) »

Donald W. Winnicott, penseur reconnu de la relation mère/jeune enfant, s’oppose dans ces citations à l’idée reçue qu’il faut apprendre aux enfants la frustration depuis leur plus jeune âge. Voir aussi « Winnicott sur créativité et soumission« 


« Apprendre à supporter la frustration! Comme si nous devions faire connaître les frustrations aux très jeunes enfants! Les inévitables frustrations de la vie viendront bien assez tôt et même les plus résistants d’entre eux auront du mal à les endurer. Vous devez comprendre qu’il y a des limites à ce qu’un enfant d’âge préscolaire peut supporter au cours de son développement affectif. Notre travail consiste à l’aider à se défendre contre de terribles sentiments de culpabilité, d’angoisse et de dépression plutôt que de lui apprendre à être… à être comme… à être comme quoi? Comme nous? Je ne suis pas certain que vous et moi soyons en mesure d’imposer un idéal aux jeunes enfants. S’ils nous aiment, il essayent de ressembler à ce qu’ils voient en nous de meilleur. Peut-être devrions-nous limiter nos efforts conscients à les empêcher de sombrer dans le désespoir (qui ne se manifeste pas seulement par de la tristesse et de la dépression, mais aussi par des colères) et à ne pas chercher à les faire rentrer dans le moule que notre sagesse bornée nous a fait concevoir pour eux. » (p.115) 

Source : Donald W. Winnicott, L’enfant, la psyché et le corps, 2013Petite Bibliothèque Payot. Page 115.

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Rosset sur la jota majorquine

« C’est cela qui n’a cessé de me souffler à l’oreille la jota majorquine : il n’y aura jamais rien de meilleur que la vie. »

Ayant ressenti à l’occasion d’une fête populaire majorquine une joie comparable à celle de Proust goûtant ses petites madeleines, Clément Rosset donne à son moment de plénitude une interprétation différente.


« La joie proustienne était liée au pressentiment d’une reconnaissance, dont l’effet était essentiellement d’abolir le sentiment du temps délétère, générateur de dégradation et de mort. La mienne était différente et concernait plutôt une intuition de l’existence perçue comme occasion de réjouissance infinie et impersonnelle : ce n’est pas moi, comme le suggère Proust, qui me trouvais libéré des servitudes du temps, c’est l’existence en soi, la mienne comme celle de tout être et de toute chose au monde, qui m’apparaissait comme à jamais désirable et à jamais justifiée (…) Proust est tout à fait fondé à dire dans ces pages que cet afflux de bonheur agit comme une invasion de plaisir isolé de toute notion de cause. Car c’est précisément parce qu’elle est sans cause que la joie est irréfutable. » (p.81)

« C’est cela qui n’a cesse de me souffler à l’oreille la jota majorquine : il n’y aura jamais rien de meilleur que la vie. » (p.82)

Source : Clément Rosset, Tropiques, Les Editions de Minuit, 2010. Pages 81 et 82.

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Appelfeld sur la mémoire

« Chaque fois que je suis heureux ou attristé son visage m’apparait (…) »

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Enfant orphelin après l’assassinat de ses parents par les nazis, Aaron Appelfeld s’enfuit d’un camp de déportés et réussit à survivre dans la forêt tout au long de la guerre. Des citations de lui sur la mémoire, extraites, l’une d’une conférence, les autres de ses propres souvenirs.

Voir aussi Appelfeld sur vie et mort, Modiano sur oubli et mémoire, Proust sur les petites madeleines, Benjamin sur mémoire et fouilles.


« Sans la mémoire, pas de littérature. La mémoire, ce n’est pas seulement les faits, les choses vues, et le relevé de leur emboîtement, c’est aussi la chaleur d’une émotion. La mémoire est sans aucun doute l’essence de la création. Mais de temps en temps la mémoire est une masse, si l’on peut dire, où ce qui est important et ce qui ne l’est pas se confondent, elle exige un élément dynamique qui la fasse bouger, lui donne des ailes —est c’est généralement ce que fait l’imagination. Le pouvoir de l’imagination créatrice ne réside pas dans l’intensité ni l’exagération, comme il en donne parfois le sentiment, mais dans un nouvel agencement des faits. Il ne s’agit pas d’inventer des faits nouveaux, mais de les distribuer correctement : leur ordre rend visible « l’idée » de l’auteur. La vie dans la Shoah ne réclame pas d’images ni de faits nouveaux et inventés. Cette vie était si « riche » qu’on en était saturé. La difficulté littéraire n’est pas d’empiler un fait sur un autre, mais de retenir les plus nécessaires, ceux qui abordent le coeur de l’expérience et non ses marges. » (p.14)

Source : Aaron Appelfeld, L’héritage nu, Editions de l’Olivier, 2006. Page 14.


« Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le coeur a beaucoup oublié, principalement les lieux, dates et noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffre un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps. La mémoire, s’avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l’odeur de la paille pourrie ou du cri d’un oiseau pour me transporter loin et à l’intérieur.

« Je dis à l’intérieur, bien que je n’aie pas encore trouvé de mots pour ces violentes taches de mémoire. Au fil des années j’ai tenté plus d’une fois de toucher les châlits du camp et de goûter à la soupe claire que l’on y distribuait. Tout ce qui ressortait de cet effort était un magma de mots, ou plus précisément des mots inexacts, un rythme faussé, des images faibles ou exagérées. » (p.60)

« De mon entrée dans la forêt je ne me souviens pas, mais je me rappelle de l’instant où je me suis retrouvé là-bas devant un arbre couvert de pommes rouges. J’étais si stupéfait que je fis quelques pas en arrière. Chaque fois que je fais un faux mouvement du dos ou que je recule, je vois l’arbre et les pommes rouges.  » (p.60-61)

« Ma mère fut assassiné au début de la guerre. Je n’ai pas vu sa mort, mais j’ai entendu son seul et unique cri. Sa mort est profondément ancrée en moi —et, plus que sa mort, sa résurrection. Chaque fois que je suis heureux ou attristé son visage m’apparait, et elle, appuyée à l’embrasure de la fenêtre, semble sur le point de venir vers moi. A présent j’ai trente ans de plus qu’elle. Pour elle, les années ne se sont pas ajoutées aux années. Elle est jeune, et sa jeunesse se renouvelle toujours. » (p.62)

Source : Aaron Appelfeld, Histoire d’une vie, Points, 2005. Pages 60, 61, 62.

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Modiano sur oubli et mémoire

« (…) on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables. »

Mur déteintPatrick Modiano  : ce sont les destructions de la guerre, la disparition de villes et de populations qui l’auraient, d’après lui-même, rendu sensible au problème de l’oubli et de la mémoire. D’où l’envie de recueillir dans son oeuvre des traces du passé laissées par des anonymes et des inconnus. Dans ces citations il compare la mémoire actuelle à celle de Marcel Proust.

Voir aussi « Proust sur les Petites Madeleines » et « Bachelard sur la maison« .

 » Il me semble, malheureusement, que la recherche du temps perdu ne peut plus se faire avec la force et la franchise de Marcel Proust. La société qu’il décrivait était encore une société stable, une société du XIXe siècle. La mémoire de Proust fait ressurgir le passé dans ses moindres détails, comme un tableau vivant. J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même et qu’elle doit lutter sans cesse contre l’amnésie et l’oubli. A cause de cette couche, de cette masse d’oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables.

Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme des icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. » (p.30)

Source : Patrick Modiano, Discours à l’Académie suédoise, Gallimard, 2015. Page 30.

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Proust sur les petites madeleines

« (…) ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques (…) »

2013-07-19 13.27.30Passage célèbre de Proust où le narrateur cherche à comprendre le bouleversement inouï que provoque en lui le goût d’un gâteau servi avec du thé par sa mère un jour d’hiver. Il arrive à l’associer aux visites qu’enfant il rendait à une vieille tante avant la messe dominicale, mais ce n’est que bien après qu’il en trouvera l’explication : surgissement d’impressions enfouies en soi qui font revivre le passé, retrouvailles avec le temps perdu, instants d’éternité qui éloignent la crainte de l’avenir. Les citations proposées décrivent l’épisode et les interrogations de l’auteur. On notera l’imagerie érotique qu’il utilise. Ces petits bouts de gâteau imbibés, qui font « tressaillir » d’un « plaisir délicieux », n’auraient-ils pas partie liée avec le désir et l’inceste ? L’emploi par l’auteur de mots suggestifs, proches de moule ou de vulve, ou alors rainure et coquille le suggère…

A rapprocher de « Rosset sur la jota majorquine » et aussi de « Modiano sur oubli et mémoire« . A propos de la relation entre maison et souvenir, on peut aussi voir « Bachelard sur la maison » et Chamoiseau sur maison et enfance. Et pour la relation mère et souvenir voir Appelfeld sur la mémoire.

« (…) ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portais à mes lèvres une cuillère de thé où j’avais laisser s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis , attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? (…) Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité (…) Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser puis faire entrer dans sa lumière » (p.142-143)

« (…) je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement ;  » (p.143)

« Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever au fond de moi ? » (p.144)

« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. » (p.144)

« Et dès que j’eus reconnu le goût du petit morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était ma chambre, vint comme un décor de théâtre (…). » (145)

Source : Marcel Proust, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, 1987Pages 143, 144, 145.

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Klemperer sur la langue nazie

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« Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir. (…). »

Victor Klemperer, philologue, a analysé l’essor sous le nazisme d’une langue particulière qu’il a nommée LTI (Lingua Tertii Imperii). Une langue corrompue, terreau des convictions et de la pensée nazies. Il note dans ces citations la relation qui s’y est établie entre les mots « héroïque » et « fanatique ». A propos des conditions dramatiques dans lesquelles Klemperer a mené cette recherche, voir « Klemperer sur le balancier« .

Voir aussi, Ozouf sur l’insulte, Boucheron et Riboulet sur attentats et oubli, Ortega y Gasset sur la dégradation de la langue.

« Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. On a coutume de prendre ce discours de Shiller, qui parle de la langue cultivée qui poétise et pense à ta place, dans un sens purement esthétique et, pour ainsi dire, anodin. Un vers réussi, dans une langue cultivée, ne prouve en rien la force poétique de celui qui l’a trouvé ; il n’est pas difficile dans une langue éminemment cultivée, de se donner l’air d’un poète et d’un penseur.

« Mais la langue ne se contente pas de poétiser et de penser à ma place, elle dirige aussi mes sentiments, elle régit tout mon être moral d’autant plus naturellement que je m’en remets inconsciemment à elle. Et qu’arriverait-il si cette langue cultivée est constituée d’éléments toxiques ou si l’on en a fait le vecteur de substances toxiques ? Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir. Si quelqu’un, au lieu d’héroïque et vertueux, dit pendant assez longtemps fanatique, il finira par croire qu’un fanatique est un héros vertueux et que, sans fanatisme, on ne peut pas être un héros (…) Le Troisième Reich n’a forgé, de son propre cru, qu’un très petit nombre des mots de sa langue (…). La langue nazie renvoie pour beaucoup à des apports étrangers et, pour le reste, emprunte la plupart du temps aux Allemands d’avant Hitler. Mais elle change la valeur des mots et leur fréquence, elle transforme en bien général ce que jadis appartenait à un seul individu ou à un groupuscule, elle réquisitionne pour le parti ce qui, jadis, était le bien général et, ce faisant, elle imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus public et le plus secret. » (p.40-41)

« Et jamais au grand jamais (…) le mot fanatisme (avec son adjectif) n’a été aussi central et, dans un total renversement de valeurs, aussi fréquemment employé que pendant les douze années du Troisième Reich. » (p.50)

Source : Victor Klemperer, LTI, langue du IIIè Reich, Pocket, 2013. Pages 33 et 34.

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Klein sur image et réalité

Qui dit image, dit cadrage

« (…) il convient donc de rompre, de façon franche, avec nos conceptions habituelles. De renoncer ainsi à toute représentation des objets physiques. »

Dans ce monde encombré de médias, quand nous croyons voir la réalité par l’image, nous ne voyons que la réalité de l’image. Et ça n’est pas la même chose. Qui dit image, dit cadrage, point de vue, choix. Sur les rapports conflictuels entre image et réalité, la physique quantique a son mot à dire : elle montre qu’il y a des réalités physiques qu’aucune image ne peut représenter, déliant ainsi image et connaissance. C’est le sens de ces citations d’Etienne Klein.

« A bout du compte, l’atome de la physique moderne échappe aux représentations imagées. D’ailleurs, on ne parle plus aujourd’hui de « modèle » d’atome, car on ne peut plus en faire de dessin. La seule description admissible de l’atome est celle qui se donne en termes de symboles mathématiques, à l’aide d’un formalisme abstrait dont il est inutile et vain de chercher des figurations intuitives. Du fait de la physique quantique, nous avons donc perdu une représentation bien claire de l’atome, mais nous avons considérablement gagné en compréhension du monde physique. » (p.21)

« Mais il faut se faire une raison : les objets quantiques ont des comportements étranges qu’aucune chose habituelle n’est capable de reproduire. Pour les comprendre il convient donc de rompre, de façon franche, avec nos conceptions habituelles. De renoncer ainsi à toute représentation des objets physiques. » (p.22)

« C’est précisément ce confort-là que la physique quantique a brisé : avec elle, les relations de la réalité et du savoir ont perdu leurs couleurs de fausse évidence. » (p.23)

Source : Etienne Klein, Les secrets de la matière, Librio, 2015. Pages 21, 22, 23.

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Klemperer sur le balancier

Sculture sur barreaux

« Mon journal était dans ces années-là, à tout moment, le balancier sans lequel je serais cent fois tombé. »

Philologue expulsé de sa chaire par les nazis, interdit de publication, exclu des bibliothèques, interdit de lecture d’ouvrages allemands, privé ainsi des mots, Victor Klemperer survécut à l’épreuve grâce à une réflexion intime et clandestine sur la langue nazie. Confiné dans une maison pour juifs conjoints d’allemandes, obligé de travailler en usine, c’est en s’arrachant à la fatigue au milieu de la nuit qu’il consignait dans son journal des observations sur cette langue corrompue qu’il a nommé LTI (Linga Tertii Imperii). A ce journal, il se tenait comme à un balancier. Voir aussi de « McCann sur le funambule et « Klemperer sur la langue nazie


« Un jeune garçon qui est au cirque avec son père lui demande : Papa, que fait le monsieur sur la corde avec le bâton ?  —Gros nigaud, c’est un balancier auquel il se tient. — Oh la la ! Papa, et s’il le laissait tomber ? —Gros Nigaud, puisque je te dis qu’il le tient ! » (p33-34)

« Mon journal était dans ces années-là, à tout moment, le balancier sans lequel je serais cent fois tombé. Aux heures de dégoût et de désespoir, dans le vide infini d’un travail d’usine des plus mécaniques, au chevet de malades ou de mourants, sur des tombes, dans la gêne et dans des moments d’extrême humiliation, avec un coeur physiquement défaillant, toujours m’a aidé cette injonction que je me faisais à moi-même : observe, étudie, grave dans ta mémoire ce qui arrive (…), retiens la manière dont cela se manifeste et agit. Et, très vite ensuite, cette exhortation à me placer au-dessus de la mêlée et à garder ma liberté intérieure se cristallisa en cette formule secrète toujours efficace : LTI, LTI ! » (p34)

Source : Victor Klemperer, LTI, langue du IIIè Reich, Pocket, 2013. Pages 33 et 34.

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Muñoz Molina sobre ciudad y exilio

 « (…) aunque piensen que son ellos los que se mantuvieron fieles, y nosotros, en cierta medida, los desertores. »

Estas citas de Antonio Muñoz Molina, evocan una paradoja del exilio. Los que partieron conservan en sus recuerdos la ciudad tal como era, los que se quedaron sólo la ven tal como es. ¿Quienes son los verdaderos desertores?

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« Nos hemos hecho a la vida lejos de nuestra pequeña ciudad, pero no nos acostumbramos a estar ausentes de ella, y nos gusta cultivar su nostalgia cuando llevamos ya algún tiempo sin volver (…) (p.11)

« Sólo quienes nos hemos ido sabemos cómo era nuestra ciudad y advertimos hasta qué punto ha cambiado: son los que se quedaron los que no la recuerdan, los que al verla día a día la han ido perdiendo y dejando que se desfigure, aunque piensen que son ellos los que se mantuvieron fieles, y nosotros, en cierta medida, los desertores. » (p.17)

 Fuente : Antonio Muñoz Molina, Sefarad, Círculo de lectores, 2001. Páginas 11 y 17.

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Tchekhov sur l’aveuglement

« Des villas et des locataires des villas… c’est si vulgaire, laissez-moi vous le dire. »

 

Voici un dialogue de la pièce « La cerisaie » d’Anton Tchekhov. Des aristocrates russes du XIX siècle ;  ils ploient sous des dettes acquises de ne pas avoir vu le monde changer ; refusent encore d’agir pour sauver leur domaine mis aux enchères. Comme si l’inertie du passé les poussait vers un précipice béant qu’ils ne peuvent, ou ne veulent pas voir.

Rapprochement possible avec « Appelfeld sur vie et mort ».


LOPAKHINE. – Excusez-moi ; je n’ai jamais vu des gens aussi légers, aussi étranges que vous, comprenant aussi peu les affaires. On vous dit clairement : votre bien va se vendre, et c’est comme si vous ne compreniez pas…

Mme RANIEVSKAÏA. – Que devons-nous faire ? Dites-le.

LOPAKHINE. – Je ne fais que cela chaque jour. Chaque jour je répète la même chose. Il faut louer la cerisaie et toute votre propriété comme terrain à villas, et cela tout de suite, au plus tôt (…) et vous serez sauvés.

Mme RANIEVSKAÏA. – Des villas et des locataires des villas… c’est si vulgaire, laissez-moi vous le dire.

Source : Anton Tchekhov, La cerisaie, Pièce en quatre actes, Acte II.

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