Léon Tolstoi sur la vie

« La vie n’est pas une plaisanterie, et nous n’avons pas le droit de l’abandonner ainsi. C’est même irraisonnable de la mesurer suivant la durée du temps ; les mois qui nous restent à vivre sont peut-être plus importants que toutes les années vécues ; il faut bien les vivre. »
Léon Tolstoï, Lettre à sa femme Sophia Andreïevna, 30-31 Octobre 1910.
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2 réflexions au sujet de « Léon Tolstoi sur la vie »

  1. Cette citation a été utilisée par Lionel Duroy dans son livre « Échapper ». Cela résonne effectivement avec Léon Tolstoï échappant à la fin de sa vie à une existence insupportable. Une fugue pendant laquelle il a écrit la lettre. Dans « Échapper » il est question du roman « La leçon d’allemand » de Siegfried Lenz, qui met en scène la vie tourmentée à l’époque nazie du peintre Emil Nolde dans une petite ville du sud du Danemark.

    Quand il écrit sa lettre, Tolstoï se trouve au couvent de Chamardino dont sa sœur est l’abbesse. Il a fui les siens, tout jeté derrière lui, domaine, château, biens. Il même changé de nom, se faisant désormais appeler T. Nicolaïef. A quatre-vingt deux ans il aspire enfin à vivre en conformité avec ses principes, ce à quoi sa famille s’oppose violemment. Il a écrit dans son journal « ….je ne leur demande que ce sacrifice, ce seul sacrifice, de renoncer au luxe, cet abominable péché contre l’égalité que Dieu voudrait voir régner parmi les hommes. Mais malheureusement ma femme qui devrait partager ma pensée comme ma couche et ma vie, se dresse en ennemie contre mes idées. Elle est une meule de moulin attachée à mon cou….. » Peu de temps avant sa fugue, Tolstoï renonce clandestinement à ses droits d’auteur. La famille semble avoir vent de la chose et tente de percer le secret. Tolstoï est espionné, son intimité violée, son journal lu, ses coffrets cassés.

    Tolstoï ne se sent pas davantage en sécurité à Chamardino. Il a peur d’être rejoint, rattrapé, et décide de partir à l’étranger. Il est néanmoins reconnu dans le train, et déjà la famille tisse sa toile pour l’attraper. On ne le laissera pas franchir la frontière. Malade, il est accueilli dans la modeste maison du chef de gare d’Astapovo, où il mourra au bout de quelque jours. Sa femme est là, mais ne sera pas autorisée à le voir.

    Pour plus de détails on peut consulter dans « Trois poètes de leur vie » de Stefan Zweig la partie consacrée à Tolstoï, ainsi que le « Tolstoï » d’Henri Troyat (Fayard, 1965) où figure le texte complet de la lettre, reproduite ci-après dans une autre traduction :

    Chamordino, 30-31 octobre 1910
    « Une entrevue et, à plus forte raison, mon retour maintenant sont impossibles. Pour toi, ce serait comme tout le monde me le dit, préjudiciable au plus haut point, pour moi, ce serait affreux ; étant donné ta nervosité, ton irritation, ton état maladif, la situation serait encore pire qu’avant, si c’est possible. Je te conseille de prendre ton parti de ce qui s’est passé, de te faire temporairement à ta nouvelle situation, et surtout je te conseille de te soigner.
    Si tu m’aimes ou du moins si tu ne me détestes pas, tu devrais essayer de te mettre un peu à ma place. Si tu le faisais, non seulement tu ne me condamnerais pas, mais tu essayerais de m’aider à trouver le repos et une possibilité de vie humaine, tu essayerais de m’aider en faisant un effort sur toi-même, et toi non plus tu ne souhaiterais pas que je revienne en ce moment. Ton état actuel, tes envies et tes tentatives de suicide, qui plus que toute autre chose montrent que tu as perdu le contrôle de toi-même, rendent impensables mon retour maintenant. Il n’y a que toi qui puisses épargner toutes ces souffrances à tes proches, à moi, et surtout à toi-même. Essaye d’employer ton énergie non pas à obtenir que tout se passe selon tes désirs – pour l’instant, mon retour -, mais à retrouver ton calme, à apaiser ton âme, et tu obtiendras ce que tu souhaites.
    Après deux jours passés à Chamordino et à Optina, je m’en vais. Je posterai ma lettre en cours de route. Je ne te dis pas où je vais, parce que j’estime que pour toi et pour moi une séparation est nécessaire. Ne crois pas que je sois parti parce que je ne t’aime pas. Je t’aime et je te plains de tout mon cœur, mais je ne peux pas agir autrement. Je sais que ta lettre est sincère, mais tu n’es pas en état de faire ce que tu souhaites. Il ne s’agit pas de satisfaire mes vœux ou mes volontés, mais uniquement de ton équilibre, d’une attitude raisonnable et pondérée. Tant que cela n’est pas, la vie commune est pour moi impensable. Revenir alors que tu es dans cet état signifierait pour moi renoncer à la vie. Je ne m’estime pas en droit de le faire. Adieu, ma chère Sonia, que Dieu te vienne en aide. La vie n’est pas une plaisanterie, et nous n’avons pas le droit de la quitter à notre gré, et il n’est pas raisonnable non plus de la mesurer à sa durée. Les mois qui nous restent à vivre sont peut-être plus importants que toutes les années passées, et nous devons les vivre dignement ».
    L. T.

  2. La mort de Tolstoï dans une gare rejoint celle d’Anna Karénine, également dans une gare et d’une si grande beauté littéraire : »….Et la lumière qui pour l’infortunée avait éclairé le livre de sa vie, avec ses tourments, ses trahisons et ses douleurs, brilla soudain d’un plus vif éclat, illumina les pages demeurées jusqu’alors dans l’ombre, puis crépita, vacilla et s’éteignit pour toujours ».

    Rappelons que c’est aussi dans une gare que Vronsky voit Anna pour la première fois…

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