« …tous deux avaient reçu une balle dans la tête en présence de leur femme… »
On dit parfois que « le hasard fait bien les choses », expression rassurante, mais niant le hasard lui même: s’il faisait bien les choses, l’issue en serait connue. Donc, pas de hasard. Heureusement, cette citation d’Emmanuel Carrère rétablit le hasard dans ses droits car ici, « comme par hasard », les choses se sont plutôt mal passées…
Une collaboration de Gaston.
« … Indifférent à la politique, Noël savait tout juste le nom du président des Etats-Unis en exercice, ignorait qu’il avait été acteur autrefois et qu’une affaire d’armes vendues à l’Iran le mettait en difficulté. Mais il se révélait incollable sur Lincoln et Kennedy, pour la raison que le premier avait été élu au Congrès en 1846, puis à la présidence en 1860, le second en 1946 et 1960 ; que leurs noms comportaient sept lettres ; que tous deux avaient reçu une balle dans la tête en présence de leur femme ; que leurs successeurs s’appelaient Johnson, qu’Andrew Johnson, celui de Lincoln, était né en 1808, Lyndon Johnson, celui de Kennedy, en 1908, et que leurs noms et prénoms réunis comportaient treize lettres ; que les meurtriers, tous deux abattus avant d’être jugés, s’appelaient John Wilkes Booth, né en 1839, et Lee Harvey Oswald, né en 1939, et que ces triples noms comportaient quinze lettres ; que Lincoln avait été assassiné au théâtre Ford et Kennedy dans une voiture Ford Lincoln ; enfin que le secrétaire de Lincoln, nommé Kennedy, avait conseillé à Lincoln de ne pas aller au théâtre, et le secrétaire de Kennedy, nommé Lincoln, pressé Kennedy de ne pas se rendre à Dallas.… » (p. 187-188)
Source : Emmanuel Carrère : « Hors d’atteinte ? », P.O.L. Éditeur 1988, Édition Folio n° 2116.