Schulz sur la maison

Maison Provence

  « Savez-vous, disait mon père, qu’il y a dans les vieux logements des pièces dont on a oublié l’existence ? « 

 

Une citation de Bruno Schulz, auteur qui ne se déprend pas de la torpeur provinciale, ni des souvenirs d’enfance. La maison familiale, celle du père, lieu de la première intimité, il semble ne jamais l’avoir quittée. Dans le récit de Schulz, le narrateur pointe des oublis dans une maison que l’on n’oublie pas. Sur la place de la maison dans l’existence humaine, voir « Bachelard sur la maison » et, aussi, Chamoiseau sur maison et enfance.

Voici la citation complète de Schulz :

« Savez-vous, disait mon père, qu’il y a dans les vieux logements des pièces dont on a oublié l’existence ? Abandonnées depuis des mois, elles dépérissent entre leurs murs, et il arrive qu’elles se renferment sur elles-mêmes, se recouvrent de briques et, irrémédiablement perdues pour notre mémoire, perdent elles-mêmes peu à peu l’existence. Le portes qui y conduisent, sur le palier d’un vague escalier de service, peuvent échapper si longtemps à l’attention des habitants, qu’elles s’enfoncent et pénètrent dans le mur, où leurs traces s’effacent, confondues avec le réseau des fissures et des fentes »

Source : Bruno Schulz, « Fin du traité des mannequins » in Les Boutiques de Cannelle, Gallimard, 2011. Page 77.

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MacCann sur le funambule

Funambule J-C C
Oeuvre de Jean-Claude Cally

 » Il transporte sa vie d’une extrémité à l’autre. »

 » La beauté pour motivation. Le ravissement ultime d’une marche. Tout réécrire depuis là haut. D’autres possibles à forme humaine. Par-delà les lois de l’équilibre. Être un instant sans corps et venir à la vie. »

Citations extraites de l’ouvrage de Colum MacCann « Et que le monde poursuive sa course folle », Belfond 1914, p.211. L’auteur y fait le récit de l’exploit de Philippe Petit, funambule entre les Twin Towers en 1974, avant leur tragique destruction. L’artiste français Jean-Claude Cally: « La puissance et la poésie de Colum MacCann m’ont inspiré pour la réalisation de sculptures et peintures sur le sujet du funambulisme. » 


Le propos de Colum MacCann fait penser au funambule de Nietzsche (« Ainsi parlait Zarathoustra », 10 18, 1972. Page 14), que nous rappelons ici:

« Il est dangereux de passer de l’autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière, dangereux de frissonner et de s’arrêter.

« Ce qu’il y a de grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but : ce que l’on aime dans l’homme, c’est qu’il est un passage et une chute.

« J’aime ceux qui ne savent pas vivre à moins de se perdre, car ce sont ceux qui passent à l’autre rive. »

Un raprochement est aussi à faire avec « Klemperer sur le balancier« .

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Mao Zedong sur la famine

« Quand il y a la famine tout le monde peut mourir. C’est pourquoi il vaut mieux laisser une moitié de la population mourir afin que l’autre puisse manger à sa faim. »

Mao Zedong, discours devant le Comité Central du Parti Communiste de Chine, le 25 mars 1959.

 

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On trouve cette citation de Mao Zedong dans l’enquête de Phillipe Grangereau, Le grand mensonge, publiée par la Revue XXI, n° 17, Hiver 2012.

Liée à la collectivisation forcée de l’agriculture et à la perversité du système politico-bureaucratique, cette famine a fait en Chine entre trente six et cinquante cinq millions de morts en 1958-62. Les rares denrées étaient réservées aux cadres du Parti Communiste et aux populations urbaines. Cette famine politique, ou « faite par l’homme », rappelle celle de l’URSS en 1932-33 (voir « Vassili Grossman sur la famine en URSS » et « Cholokhov sur la famine en URSS« , ainsi que les réflexions qui s’y attachent).

Phillipe Grangereau présente aussi le témoignage du chercheur chinois Yang Jisheng :

« Bouleversé, il découvre qu’au pire de la famine en janvier et février 1959, les greniers de l’Etat sont pleins : « il y avait encore en réserve six millions cinq cent quarante cinq mille tonnes de céréales », dit-il avec colère. Il ne comprend pas : « A travers tout le pays la population campait autour des greniers à céréales. Les gens criaient et imploraient : parti communiste donne-nous un peu de nourriture. Ils suppliaient à l’entrée des silos à grains, jusqu’à ce que la faim les achève. C’est inimaginable ». Il vibre de rage : « les empereurs des dynasties ouvraient les réserves et les distribuaient à la population en cas de catastrophe ou de pénuries. Mais la direction du Parti Communiste, qui prétendait servir le peuple, a refusé de secourir la population…… »

Source : Phillipe Grangereau, Le grand mensonge, enquête Revue XXI n° 17, Hiver 2012

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Onfray sur Freud et Mussolini

« La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. »

Sculture et bras

Voici quelques citations de Michel Onfray au sujet de l’échange entre Einstein et Freud sur la suppression des guerres, où il cherche à montrer que, contrairement à Einstein, Freud n’était pas un vrai pacifiste, et qu’il penchait vers des solutions qui n’auraient pas choqué Mussolini. Dans les extraits ci-après, qui contiennent la phrase mise en exergue, il donne sa version personnelle de la réponse de Freud à Einstein sur la possibilité d’arrêter les guerres.

(Voir aussi le commentaire proposé à la fin, ainsi que : « Einstein sur la guerre » ; « Freud sur la guerre » ; « Roudinesco sur Freud et Mussolini » ).

Voici les propos de Michel Onfray : 

« Mais la réponse arrive en fin de lettre :  » Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d’autres, pourquoi ne l’acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécessités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée pratiquement à peine évitable » (Freud, Œuvres Complètes XIX. 79). Et puis encore : « La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l’individu ; on ne peut pas condamner toutes les espèces de guerre au même degré ; tant qu’il y a des nations et des empires qui sont prêts sans aucun regard, à en anéantir d’autres, ces autres doivent être armées pour la guerre (Freud, ibid).

« Dès lors : la lucidité et le pragmatisme nous obligent à conclure que la guerre est une nécessité cruelle de la vie; qu’elle se trouve biologiquement fondée ; qu’elle est quasiment inévitable ; que la communauté a des droits sur les individus qui la constituent ; que toute guerre n’est pas mauvaise en soi ; qu’il faut l’accepter, que le désarmement est une utopie une chimère, qu’il faut être armé temps que d’autres le seront, c’est-à-dire toujours. Certes il faut vouloir la paix, désirer la fin de la guerre, éduquer, investir dans la culture qui éloigne de l’agressivité, mais qui éduquerait et comment ? La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique à fin d’éduquer les masses au renoncement pulsionnel. » (p.533-534)

Michel Onfray : Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Le Livre de Poche, 2013. Pages 533-534.

COMMENTAIRE

Dans les propos précédents d’Onfray, les citations extraites de la lettre de Freud à Einstein sont tronquées, ce qui, dès lors, en déforme la pensée. Nous reproduisons ici les citations complètes de Freud en indiquant les points de rupture imposés par Onfray.

//Début du propos de Freud// « Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d’autres, pourquoi ne l’acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécessités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée, pratiquement à peine évitable //coupure par Onfray//. Ne soyez pas épouvanté de me voir poser cette question. Pour mener à bien une investigation, on peut peut-être prendre le masque d’une supériorité dont on ne dispose pas en réalité. La réponse sera : parce que tout homme a un droit sur sa propre vie, parce que la guerre anéantit des vies humaines pleines d’espérance, qu’elle met l’individu humain dans des situations qui l’avilissent, qu’elle le contraint à commettre le meurtre sur d’autres, ce qu’il ne veut pas, qu’elle détruit de précieuses valeurs matérielles, résultat du travail des hommes, et autres choses encore. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.79).

//Début du propos de Freud// « Tout cela est vrai et semble tellement incontestable qu’on s’étonne seulement que la pratique de la guerre n’ait pas été rejetée par un accord général entre les hommes. On peut certes discuter sur tel ou tel de ces points. //Début de citation par Onfray// La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l’individu ; on ne peut pas condamner toutes les espèces de guerre au même degré ; tant qu’il y a des nations et des empires qui sont prêts sans aucun regard, à en anéantir d’autres, ces autres doivent être armées pour la guerre //coupure par Onfray//. Mais passons rapidement sur tout cela ; ce n’est pas la discussion à laquelle vous m’avez invité. J’ai quelque chose d’autre en vue : je crois que la raison majeure pour laquelle nous nous indignons est que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes des pacifistes, parce que, pour des raisons organiques, nous ne pouvons pas ne pas l’être. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.80)

La façon dont Onfray interprète les propos de Freud peut aussi poser problème. Comparons :

-Onfray : « La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique à fin d’éduquer les masses au renoncement pulsionnel. » (Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Le Livre de Poche, 2013, p.533-534)

-Freud : « Partant de là, il faudrait consacrer davantage de soin qu’on ne l’a fait jusqu’ici pour éduquer une couche supérieure d’hommes pensant de façon autonome, inaccessibles à l’intimidation et luttant pour la vérité, auxquels reviendrait la direction des masses non autonomes. Que les empiétements des pouvoirs étatiques et l’interdit de pensée venant de l’Eglise ne soient pas favorables à ce que l’on élève ainsi les hommes, n’a nul besoin de démonstration. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.79)

Pour finir, voici la conclusion de Freud, qui affirme sa conviction pacifiste et qui est loin d’être une fermeture à la possibilité de suppression de la guerre :

« Combien de temps nous faut-il encore attendre avant que les autres aussi deviennent pacifistes ? On ne saurait le dire, mais peut être n’est-il pas utopique d’espérer que l’influence de ces deux facteurs, la position culturelle et l’angoisse justifiée devant les effets d’une guerre future, mettra fin à la pratique de la guerre dans un avenir à portée de vue. Par quelles voies directes ou détournées, nous ne pouvons pas le deviner. En attendant, il nous est permis de nous dire : tout ce qui promeut le développement culturel travaille du même coup contre la guerre. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.81).

Tout cela était écrit en 1932. C’est donc malheureusement une question sur laquelle Freud semble s’être trompé, mais qu’Onfray ne pouvait relever sans contredire sa thèse d’un Freud non pacifiste.

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Roudinesco sur Freud et Mussolini

En 1933 l’analyste Eduardo Weiss arrive de Rome avec une de ces patientes, pour solliciter à Freud de l’aide dans cette cure qui s’avère difficile. La patiente était accompagnée de son père Giovacchino Forzano, un proche de Mussolini, avec qui il avait écrit une pièce de théâtre sur Napoléon. Des extraits de travail d’Elisabeth Roudinesco su Freud rendent compte ici de cet épisode.

En rapport à ses extraits , voir aussi « Freud sur la guerre » et « Onfray sur Freud et Mussolini« .

 

« Pour séduire Freud, à qui il confiait le destin de sa fille, Forzano apporta à la Bergasse l’édition allemande de l’ouvrage. Sur le frontispice, il avait rédigé une dédicace au nom des deux auteurs : « Á S.F. qui rendra le monde meilleur, avec admiration et reconnaissance. » Et c’est pour cette raison qu’il demanda à Herr Professor de lui donner à son tour une photo et un livre de lui accompagné d’une mention autographe pour Mussolini. Soucieux de protéger Weiss, qui organisait le mouvement psychanalytique et venait de faire paraître la première livraison de la Rivista italiana di psicoanalisi, Freud alla chercher dans sa bibliothèque un exemplaire de « Pourquoi la guerre ? » et rédigea un texte appelé à susciter de violentes polémiques : « Pour Benito Mussolini avec les humbles salutations d’un vieil homme qui reconnaît dans l’homme de pouvoir un champion de la culture. » (p.445-446)

« Protecteur de la psychanalyse, Forzano, liée à Weiss, n’obtint en fait aucun soutien de la part de Mussolini, qui n’avait pas la moindre intention de s’opposer à l’Église catholique. Et d’ailleurs (…) le dictateur denonça la psychanalyse comme une « fraude orchestrée par un Pontifex Maximus ». Au point que (…) Weiss ne put empêcher les services de la Propagande de suspendre la parution de la Rivista. Pire encore, la diplomatie fasciste commanda une ridicule enquête sur les activités de la WPV destinée à prouver que Sigismond (sic) Freud entretenait des relations suspectes avec le penseur anarchiste Camillo Berneri et que ses disciples se livraient à des opérations mercantiles soutenues par les socialistes et les communistes. » (p.446-447).

« Il faut être bien ignorant de l’histoire pour penser que Freud aurait été fasciste comme ne manque pas de l’affirmer Michel Onfray dans son brûlot « Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne« , Paris, Grasset, 2010, pages 504-533 et 590-591. Onfray n’a consulté ni les archives de la Library of Congress ni les correspondances de Freud et de Weiss à ce sujet. » (note 2, p.446).

Source : Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le notre, Seuil, 2014. Pages 445 à 447.

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Freud sur la guerre

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« (…) je voudrais m’attarder encore un instant sur la pulsion de destruction (…) cette pulsion travaille à l’intérieur de tout être vivant (…) »

Extraits de la réponse faite par Freud à la lettre d’Albert Einstein concernant la possibilité de neutraliser les pulsions agressives qui mènent à la guerre. Il s’agit d’un échange épistolaire suscité et publié par la Société des Nations en 1933, sous le titre « Pourquoi la guerre ? « .

Cet ouvrage a été dédicacé par Freud à Mussolini. Tentative, semble-t-il, de protéger la psychanalyse dans l’Italie fasciste (voir « Roudinesco sur Freud et Mussolini« ) Vu le contenu du texte dédicacé, le choix de Freud ne semble pas avoir été le fruit du pur hasard.

Voir aussi « Onfray sur Freud et Mussolini« , Camus sur le suicide, Ricoeur sur violence, Hobbes sur sécurité et liberté, Freud sur liberté, sécurité et culture.


« Nous supposons que les pulsions de l’homme sont de deux espèces seulement, soit celles qui veulent conserver et réunir —nous les nommons érotiques (…) dans le sens de l’Eros dans le Banquet de Platon, ou sexuelles par une extension consciente du concept populaire de sexualité — et d’autres qui veulent détruire et mettre à mort (…) L’une de ces pulsions est tout aussi indispensable que l’autre, de l’action conjuguée et antagoniste des deux procèdent les phénomènes de la vie ». (p.75-76)

« Quand donc les hommes sont invités à faire la guerre, bon nombre de motifs en eux peuvent y répondre favorablement, nobles et communs, ceux dont on parle à haute voix, et d’autres que l’on passe sous silence (…) Le plaisir pris à l’agression et à la destruction compte certainement parmi eux ; d’innombrables cruautés relevant de l’histoire et du quotidien confirment leur existence et leur force. « (p.76-77)

« (…) je voudrais m’attarder encore un instant sur la pulsion de destruction (…) cette pulsion travaille à l’intérieur de tout être vivant, et a donc pour tendance de provoquer sa désagrégation (…) Elle mériterait en toute rigueur le nom de pulsion de mort, tandis que les pulsions érotiques représentent les aspirations à la vie. La pulsion de mort devient pulsion de destruction en étant retournée (…) vers l’extérieur, sur des objets. L’être humain préserve pour ainsi dire sa propre vie en détruisant une vie étrangère. Une part de la pulsion de mort reste active à l’intérieur de l’être vivant, et nous avons même commis l’hérésie d’expliquer l’apparition de notre conscience morale par un tel retournement de l’agression vers l’intérieur (…) il n’est pas si dénoué d’inconvénients que ce processus s’effectue à une trop grande échelle : cela est franchement malsain, alors même que le retournement de ces forces pulsionnelles vers la destruction dans le monde extérieur soulage l’être vivant et ne peut avoir qu’un effet bénéfique. Cela servirait de disculpation biologique à toutes les tendances haïssables et dangereuses contre lesquelles nous menons le combat. » (p.77)

« Du reste il ne s’agit pas (…) d’éliminer totalement le penchant à l’agressivité chez l’homme  ; on peut tenter de le dévier suffisamment pour qu’il n’ait pas à trouver son expression dans la guerre ». (p.78)

« (…) nous trouvons aisément une formule indiquant les voies indirectes pour combattre la guerre. Si la complaisance à la guerre est une émanation de la pulsion de destruction, on est tenté d’invoquer contre elle l’antagoniste de cette pulsion, l’Eros. Tout ce qui instaure des liaisons de sentiment parmi les hommes ne peut qu’agir contre la guerre (…) Premièrement des relations comme celles avec un objet d’amour, quoique sans buts sexuels. L’autre espèce de relation de sentiment est la liaison par identification. Tout ce qui instaure parmi les hommes des intérêts communs significatifs suscite de tels sentiments communautaires, des identifications. Sur eux repose pour une bonne partie l’édifice de la société humaine » (p.78-79)

« Je vous salue cordialement et si mon exposé vous a déçu, je vous demande pardon. »(p.81)

Source : Lettre de Freud à Einstein, in Sigmund Freud « Oeuvres complètes« , t.XIX, Presses Universitaires de France, 2004. Pages 75 à 79.

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Einstein sur la guerre

« comment est-il possible que la (…) minorité puisse mettre au service de ses désirs la masse du peuple qui, dans une guerre, ne peut que souffrir et perdre ? »

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Voici quelques propos d’Albert Einstein dans son échange épistolaire avec Sigmund Freud au sujet des causes de la guerre. Un échange suscité et publié par la Société des Nations en 1933, sous le titre « Pourquoi la guerre ? » Connu pour son pacifisme, Einstein, sollicité d’abord, a suggéré le nom de Freud comme contrepartie ; il lui posera la question de la canalisation des pulsions humaines de haine et de destruction  (voir des extraits de la réponse de Freud dans « Freud sur la guerre« ).

Ici on a retenu les raisons qui expliquent d’après Einstein les échecs du pacifisme. A comparer avec les citations « Zweig sur la guerre de 14-18« .

Voir aussi : Ricoeur sur la violence, Nietzsche sur jeunesse et explosivité.


« Je pense ici principalement à la présence, au sein de chaque peuple, d’un petit groupe néanmoins résolu, inaccessible aux considérations et aux inhibitions sociales, formé d’hommes pour qui guerre, fabrication et commerce d’armes ne sont rien d’autre qu’une occasion de retirer des avantages personnels, d’élargir le domaine personnel de leur puissance. » (p.67)

« Il se pose aussitôt cette question : comment est-il possible que la susdite minorité puisse mettre au service de ses désirs la masse du peuple qui, dans une guerre, ne peut que souffrir et perdre ? (…) Ici la réponse immédiate semble être : la minorité des dominants, à tel ou tel moment, tient avant tout l’école, la presse et le plus souvent aussi les organisations religieuses. Par ces moyens, elle domine et dirige les sentiments de la grande masse et en fait son docile instrument. » (p.67)

 » (…) Comment est-il possible que la masse se laisse enflammer par lesdits moyens jusqu’à la frénésie et au sacrifice de soi ? La réponse ne peut qu’être : en l’homme vit un désir de haïr et d’anéantir. Cette prédisposition (…) peut être réveillée avec une relative facilité et s’intensifier en psychose de masse. »(p.67)

« Et ici je suis bien loin de penser uniquement à ceux qu’on appelle incultes. D’après mes expériences dans la vie, c’est bien plutôt précisément ce qu’on appelle « intelligence » qui succombe le plus facilement aux fatales suggestions de masse, parce qu’elle n’a pas coutume de puiser directement dans l’expérience de vie, mais que la façon la plus commode et la plus achevée de la capter passe par la voie du papier imprimé. »(p.67-68)

Source : Lettre d’Einstein à Freud, in Sigmund Freud « Oeuvres complètes« , t.XIX, Presses Universitaires de France, 2004. Pages 67 et 68.

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Zweig sur la Guerre de 14-18

Il a connu les deux guerres mondiales et la montée du nazisme, des « ébranlements volcaniques » qui en finirent avec monde où il avait grandi. Exilé, devenu apatride, coupé de toutes ses racines, de tout passé et de tout futur, Stefan Zweig se suicide avec sa femme Lotte en 1942, au Brésil. La veille il envoie à l’éditeur le manuscrit de ses mémoires, écrits pour transmettre « ne serait-ce qu’une parcelle de vérité, vestige de cet édifice effondré. »

De la guerre il dira que son ombre ne l’a jamais quitté, qu’elle a voilé de deuil chacune de ses pensées, de jour et de nuit. On présente ici quelques citations sur la guerre de 14-18, notamment sur le rôle joué par des artistes et des intellectuels dans la propagande. Des propos qui résonnent avec ceux écrits en 1942 par Albert Einstein dans sa lettre à Sigmund Freud. Voir citation « Einstein sur la guerre« .

 

« Le lendemain en Autriche ! Dans chaque station étaient collées les affiches qui avaient annoncé la mobilisation générale. Les trains se remplissaient de recrues qui allaient prendre leur service, des drapeaux flottaient. À Vienne la musique résonnait et je trouvai toute la ville en délire. La première crainte qu’inspirait la guerre que personne n’avait voulu, ni le peuple, ni le gouvernement, cette guerre qui avait glissé contre leur propre intention des mains maladroites des diplomates qui en jouaient et bluffaient, s’était retournée en subit enthousiasme. Des cortèges se formaient dans les rues partout s’élevaient soudain des drapeaux, s’agitaient des rubans, montaient des musiques; les jeunes recrues s’avançaient en triomphe, visages rayonnants, parce qu’on poussait des cris d’allégresse sur leur passage à eux, les petites gens de la vie quotidienne que personne, d’habitude, ne remarquait ni ne fêtait. » (p.(264-265).

« Cette houle se répandit si puissamment (…), elle arracha des ténèbres de l’inconscient, pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud, avec sa profondeur de vues, appelait le « dégoût de la culture », le besoin de s’évader une fois pour toutes du monde bourgeois (…) et d’assouvir les instincts sanguinaires immémoriaux. » (p.266)

« Et puis en 1914, après un demi-siècle de paix, que savaient de la guerre les grandes masses? Elles ne la connaissaient pas. Il ne leur était guère arrivé d’y penser. Elle restait une légende et c’était justement cet éloignement qui l’avait faite héroïque et romantique. » (p.268)

 » (…) prémuni comme je l’étais contre cet accès de fièvre de la première heure, je demeurais bien résolu à ne point me laisser ébranler dans mes convictions qu’une union de l’Europe était nécessaire, par une lutte fratricide qu’avaient déchaînée des diplomates maladroits et des marchands de munitions brutaux. » (p.271)

« Presque tous les écrivains allemands (…) se croyaient obligés, comme au temps des anciens Germains, de jouer les bardes et d’enflammer de leur chants et de leurs runes les combattants qui allaient au front pour les encourager à bien mourir (…) Les savants étaient pire. Les philosophes ne connaissaient soudain plus d’autre sagesse que de déclarer la guerre un « bain d’acier » bienfaisant (…) À leurs côtés se rangeaient les médecins qui vantaient leurs prothèses avec une telle emphase qu’on avait presque envie de se faire amputer une jambe pour remplacer le membre sain par un appareil artificiel. Les prêtres de toutes les confessions ne voulaient pas rester en retrait et mêlaient leurs voix au chœur (…) et cependant tous ces hommes étaient les mêmes dont nous admirions encore une semaine, un mois auparavant, la raison, la force créatrice, la dignité humaine (…) Plusieurs, à la vérité, sentirent bientôt sur leur langue la saveur amère du dégoût que leur inspirait leur propre parole, quand la mauvaise eau de vie du premier enthousiasme se fût évaporée. » (p.272-273)

« Or il est dans la nature humaine que des sentiments violents ne sauraient durer indéfiniment (…) et l’organisation militaire le sait. C’est pourquoi elle a besoin d’un aiguillonnement artificiel, d’un continuel doping de l’excitation, et ce travail de stimulation c’est aux intellectuels qu’il incombait, aux poètes, aux écrivains aux journalistes (…) Ils avaient battu le tambour de la haine et continuèrent de le battre jusqu’à ce que le plus impartial sentît ses oreilles tinter et son cœur frémir. Presque tous, en Allemagne, en France, en Italie, en Russie, en Belgique, servaient la propagande de guerre et par là même la folie, la haine collective, au lieu de la combattre. » (p.277)

Source : Stefan Zweig, Le monde d’hier, souvenirs d’un Européen, Le livre de poche, 2011.

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Hesse sur les médias

« … la manière dont toutes ces informations étaient communiquées, filtrées et formulées, était manifestement marquée au coin d’une fabrication en série, hâtivement exécutée par des éléments irresponsables« .

Il est question dans « Le jeu des perles de verre », roman publié pour la première fois en 1943, d’une société en décadence culturelle dont la crise ouvre la voie à une utopie imaginée par l’auteur. La citation proposée concerne en particulier la crise de la presse : des propos qui ne manquent pas dans la réalité actuelle. Voir aussi « Hesse sur les personnalités médiatiques« , « Bukowski sur la littérature actuelle ».

« Qu’un tableau célèbre changeât de mains, qu’un manuscrit de valeur fût mis aux enchères, un château ancien dévoré par les flammes, le porteur d’un vieux nom aristocratique mêlé à un scandale, les lecteurs en trouvaient dans les milliers d’articles de variétés bien plus qu’un simple compte rendu : le jour même, au plus tard le lendemain, on leur fournissait par surcroît une foule de renseignements anecdotiques, historiques, psychologiques, érotiques et autres sur le sujet à l’ordre du jour ; sur chaque évènement d’actualité on s’empressait de répandre des flots d’encre ; et la manière dont toutes ces informations étaient communiquées, filtrées et formulées, était manifestement marquée au coin d’un fabrication en série, hâtivement exécutée par des éléments irresponsables. » (p.1457)

Source : Hermann Hesse, Le jeu des perles de verres in Romans et Nouvelles ; Le livre de poche, 2005. Page 1457.

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Machado sobre la locura

No pasa nada

Antonio Machado, poeta de equipaje ligero, nostalgia llevaba en su maleta azul marina. La misma que tenemos todos, que nos reveló él. Se presentan aquí dos estrofas del poema « Un Loco ».  Ecos en « Balada para un loco » de Horacio Ferrer con música de Astor Piazzola

 

« Por un camino en la árida llanura,

entre álamos marchitos,

a solas con su sombra y su locura,

va el loco, hablando a gritos. »

« No fue por una trágica amargura

esta alma errante desgajada y rota;

purga un pecado ajeno: la cordura,

la terrible cordura del idiota. »

 

Fuente : Antonio Machado, Un loco in Mi corazón os lleva, Antología PoéticaEdiciones Vitrubio, 2013. (páginas 42-43)

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