Walser sur la saucisse

« A quoi je pense ? Je pense à une saucisse. C’est affreux »

Pont Lyon 2

Voici des extraits des réflexions sur une saucisse de l’écrivain et poète suisse-allemand Robert Walser, que Paul Nizon considère comme l’un de ses maîtres en littérature, un maître capable d’écrire même sans contenus ni idées. Nizon voit-il juste ? Est-ce que l’absence de grandes histoires dans les brefs textes de Walser reflète une absence de contenu ? Rien n’est moins sûr, c’est comme la prétendue vacuité des textes d’Eugène Ionesco, en fait, il y a toujours quelque chose. La culpabilité par exemple, comme dans « La Saucisse », dont Traces présente ici deux extraits. On notera un style ciselé fait de répétitions rythmées, à la façon d’un Thomas Bernhard, peut-être sous l’influence de Walser. 

Dans le deuxième extrait, les mots marqués en caractères gras permettent de mettre en évidence la recherche par Walser d’un rythme dans la répétition, comme il est montré dans le commentaire plus bas. Cela illustre bien cette phrase de Walser : « J’ai l’intention de danser avec les mots ».

Voir aussi, Nizon sur l’écriture sans idées ; Ionesco sur  la vacuité  ; Bernhard sur le monde artistique.

Voir aussi le commentaire de Gaston, « Hommage à Walser ».


« A quoi je pense ? Je pense à une saucisse. C’est affreux. Jeunes gens, hommes qui servez l’Etat, vous en qui l’Etat place son espoir, prenez soin de m’examiner et de considérer en moi un horrifique exemple, car je suis tombé bien bas. Je n’arrive pas à m’arracher à la pensée que j’avais, tout à l’heure, une saucisse qui est perdue pour toujours à présent. Je l’ai sortie de mon armoire et à cette occasion, je l’ai mangée. Avec un plaisir trop insincère, semble-t-il, j’ai mangé ce qui pourrait encore exister si je ne l’avais pas englouti. Il y a quelques minutes encore, la meilleure et la plus juteuse des saucisses était là, bien en chair, mais à présent, par la faute d’une consommation hélas trop étourdie, la plus délectable des saucisses à disparu, ce dont je suis inconsolable. Ce qui était là tout à l’heure est loin, et plus jamais personne ne me le rendra. »

« (…) et comme elle était juteuse, de ma vie je n’ai jamais rien mangé de plus juteux, et cela, juteux et délectable, pourrait être juteux et délectable encore à présent, et cela, rose et tendre, pourrait être rose et tendre encore à présent, et cela, parfumé, parfumé encore à présent, et cela, délicieux et appétissant, délicieux et appétissant encore à présent, et cela, long et rond, rond et long encore à présent, et cela, fumé, fumé encore à présent, et cela, lardé de lard, lardé de lard encore à présent, si j’avais eu de la patience. »

Source : Robert Walser, La Saucisse in Morceaux de prose, éditions Zoé, 2008; Version électronique ePub.


Commentaire

Dans le paragraphe précédent ont été marqués en gras les adjectifs répétés. Si l’on attribue à chacun  un chiffre,  on voit apparaitre une régularité rythmique :

(juteuse) (juteux) :                                                                 (1)  (1)

(juteux, délectable ) (juteux, délectable) :                     (1,2)  (1,2)

(rose, tendre) (rose, tendre) :                                            (3,4) (3,4)

(parfumé, parfumé) :                                                             (5) (5)

(délicieux et appétissant) (délicieux et appétissant):   (6,7) (6,7)

(long, rond) (rond, long) :                                                   (8,9) (9,8)

 (fumé) (fumé) :                                                                     (10) (10)

 (lardé de lard) (lardé de lard) :                                         (11) (11)

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Nizon sur l’écriture sans idées

 » (…) même sans idées ni contenu, sans message, voire sans thématique notable, on peut néanmoins pratiquer une activité d’écriture (…) »

Mur Gaston
Photo de Gaston

Peut-on écrire quand on n’a pas grand chose à raconter ? En répondant par l’affirmative, Paul Nizon cite son « accoucheur » en écriture — l’écrivain et poète suisse Robert Walser—  alors qu’il s’interroge lui-même sur la signification de l’écriture dans sa vie.

Voir aussi Walser sur la saucisse, Ionesco sur la vacuité.


« Pour ce qui est de Robert Walser, j’ai eu très trop le pressentiment que, même sans idées ni contenu, sans message, voire sans thématique notable, on peut néanmoins pratiquer une activité d’écriture et la maintenir en vie — rien qu’avec les moyens de la langue !  » (p.16)

« A propos de Walser, on disait qu’il ne cessait de quitter ses emplois et qu’il se retirait avec la petite somme qu’il avait économisé dans des mansardes et autres locations de fortune afin d’accomplir « princièrement pauvre et royalement libre » un travail d’écriture qui manifestement était invisible. Ce travail devait en valoir la peine, et pour un tas de raisons, sinon il n’aurait pu être entretenu et légitimé avec autant d’opiniâtreté. Walser disait de son travail : « Peut-être suis-je un acteur poète ou un chanteur sans voix ou un orateur à qui tout le talent oratoire fait défaut. » « J’ai l’intention de danser avec les mots ». « Je sais que je suis une sorte d’artisan romancier » (…). Si je suis dans de bonnes dispositions, c’est-à-dire de bonne humeur, je taille, répare, rabote, forge, frappe, martèle ou cloue ensemble des lignes dont on comprend tout de suite le contenu. On peut, si on le désire, m’appeler tourneur écrivain. Pendant que j’écris, je tapisse. Que quelques aimables personnes veuillent me tenir pour un poète, je l’admets par esprit de conciliation et par politesse. Mes proses ne constituent, à mon avis, rien d’autre que des parties d’une longue histoire réaliste pauvre en action« . p(16-17)

Source : Paul Nizon, Marcher à l’écriture, Actes Sud, 1991.

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Carrère sur le hasard

Femme trijambes« …tous deux avaient reçu une balle dans la tête en présence de leur femme… »

On dit parfois que « le hasard fait bien les choses », expression rassurante, mais niant le hasard lui même: s’il faisait bien les choses, l’issue en serait connue. Donc, pas de hasard. Heureusement, cette citation d’Emmanuel Carrère rétablit le hasard dans ses droits car ici, « comme par hasard », les choses se sont plutôt mal passées… 

Une collaboration de Gaston.


« … Indifférent à la politique, Noël savait tout juste le nom du président des Etats-Unis en exercice, ignorait qu’il avait été acteur autrefois et qu’une affaire d’armes vendues à l’Iran le mettait en difficulté. Mais il se révélait incollable sur Lincoln et Kennedy, pour la raison que le premier avait été élu au Congrès en 1846, puis à la présidence en 1860, le second en 1946 et 1960 ; que leurs noms comportaient sept lettres ; que tous deux avaient reçu une balle dans la tête en présence de leur femme ; que leurs successeurs s’appelaient Johnson, qu’Andrew Johnson, celui de Lincoln, était né en 1808, Lyndon Johnson, celui de Kennedy, en 1908, et que leurs noms et prénoms réunis comportaient treize lettres ; que les meurtriers, tous deux abattus avant d’être jugés, s’appelaient John Wilkes Booth, né en 1839, et Lee Harvey Oswald, né en 1939, et que ces triples noms comportaient quinze lettres ; que Lincoln avait été assassiné au théâtre Ford et Kennedy dans une voiture Ford Lincoln ; enfin que le secrétaire de Lincoln, nommé Kennedy, avait conseillé à Lincoln de ne pas aller au théâtre, et le secrétaire de Kennedy, nommé Lincoln, pressé Kennedy de ne pas se rendre à Dallas.… » (p. 187-188)

Source : Emmanuel Carrère : « Hors d’atteinte ? », P.O.L. Éditeur 1988, Édition Folio n° 2116.

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Nizon sur la rêverie

« Le rêveur éveillé est un être qui anticipe la vie en rêvant. »

gaviota avilés

La rêverie. Ce voyage intérieur et solitaire, errance sans support autre que la divagation et le hasard.  Est-ce juste le propre du bon a rien, de celui qui cherche à s’évader du monde, en laissant filer le temps pour ne pas y être ? Ou, peut, au contraire, être aussi une expérience enrichissante, source de pensée, favorisant la créativité et l’ouverture ? C’est la deuxième option que défends Paul Nizon dans les citations que nous proposons ici.

Voir aussi Bachelard sur la maison, Schulz sur jeunesse et rêve, Winnicott sur la capacité d’être seul, Winnicott et sur créativité et soumission.


« Un propre à rien est un rêveur éveillé, mais le rêve éveillé n’est pas obligatoirement une mince affaire. Je pense que le caractère poétique a toujours eu à voir avec le rêve éveillé. Le rêveur éveillé est un être qui anticipe la vie en rêvant. Il reste couché sous l’arbre de la vie mais ne cherche pas à y monter avec une petite échelle, il ne l’escalade pas parce qu’il craint en grimpant, et surtout en montant dans l’arbre, non seulement de perdre de vue en un clin d’oeil ce bel arbre rond plein de mystères et de promesses, ce point de vue, cet instant, mais encore de le perdre tout à fait et pour toujours. S’il se trouvait dans l’arbre il ne pourrait en tout cas plus l’admirer.

« Le rêveur éveillé est exigeant, il ne voudrait pas se contenter de miettes, il ne voudrait pas devenir une fourmi dans cet arbre. Il ne lui est pas possible de s’emparer totalement de l’arbre. Ainsi pour lui, rester-couché-sous-l’arbre est avoir une forme de pro-jet, un avoir dans la tonalité du moi.

« Le rêve éveillé est une forme d’amour de la vie, une gravidité dont on a le pressentiment, une forme de conscience rêveuse de la vie » (p.36)

Source : Paul Nizon, Marcher à l’écriture, Actes Sud, 1991.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Cervantes sobre la maledicencia

(…) deléitanme las maliciosas agudezas, y, por decir una, perderé yo, no sólo un amigo, pero cien mil vidas. »

Armure gouttièreMiguel de Cervantes, grande entre los grandes, genio de la literatura universal que España no reconoció debidamente en su época. Sufrió al contrario calumnias y acusaciones injustas que dieron con él en prisión.

¿Envidia? ¿Celos? ¿Víctima de la mentalidad inquisitorial de su época? Entre las vejaciones, la publicación de un falso Don Quijote, cuyo prefacio, además, lo tildaba de viejo manco y malhumorado, desprovisto de amigos y enojado con el mundo. El autor, o al menos, el inspirador de este prefacio sería nada menos que Lope de Vega, cuya saña contra Cervantes parecía no tener límites. He aquí lo que le escribía en una carta descomedida:

"¡Honra a Lope, potrilla, o guay de ti!, que es sol, y si se enoja, lloverá; y ese tu Don Quijote baladí de culo en culo por el mundo va vendiendo especias y azafrán romí, y, al fin, en muladares parará."

En su última novela, Cervantes hace de la maledicencia un personaje, Clodio, cuya irónica auto descripción  citamos parcialmente aquí, así cómo la respuesta que le da Antonio, otro de los personajes.

Ver también Baudelaire sur l’ennui, Pascal sur le divertissement, Sartre sur la mauvaise foi, Steffens sur l’excession du monde, Giannini sobre el aburrimiento.


Clodio :
« Tengo un cierto espíritu satírico y maldiciente, una pluma veloz y una lengua libre; deléitanme las maliciosas agudezas, y, por decir una, perderé yo, no sólo un amigo, pero cien mil vidas. »

« Yo no me mataré -dijo Clodio-, porque, aunque soy murmurador y maldiciente, el gusto que recibo de decir mal, cuando lo digo bien, es tal que quiero vivir, porque quiero decir mal ».

Antonio :
« La lengua maldiciente es como espada de dos filos, que corta hasta los huesos, o como rayo del cielo, que sin romper la vaina, rompe y desmenuza el acero que cubre; y, aunque las conversaciones y entretenimientos se hacen sabrosos con la sal de la murmuración, todavía suelen tener los dejos las más veces amargos y desabridos.

Y, como sean las palabras como piedras que se sueltan de la mano, que no se pueden revocar ni volver a la parte de donde salieron hasta que han hecho su efecto, pocas veces el arrepentirse de habellas dicho menoscaba la culpa del que las dijo… ».

Fuente : Miguel de Cervantes, Persiles y Sigismunda, edición electrónica Librodot.com, Capítulo Catorce del Primer Libro. Edición original en 1617 bajo el título « Historia de los trabajos de Persiles y Sigismunda ».

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Kundera sur la tendresse de Staline

« Je sais, je sais… Le mot tendresse ne va pas bien avec la réputation de Staline (…) »

mur brique stgo

Traces a publié des citations de Martin Steffens où il est question d’une sorte de trop plein de satisfaction qui pousse les gens à mépriser ce qui échappe à leur domaine de plénitude, le monde étant ainsi en excession par rapport à nos possibilités de l’apprécier. Dans cette citation pleine d’humour de Milan Kundera il est question d’une autre sorte d’excession, d’un trop plein de cruauté qui empêche de compatir avec tout ce qui mérite compassion et tendresse dans le monde. 

Une collaboration de Pierrepentti.

Voir aussi Steffens sur l’excession du monde, Camus sur le pétale de rose.


« Je sais, je sais… Le mot tendresse ne va pas bien avec la réputation de Staline, c’est le Lucifer du siècle, je sais, sa vie a été remplie de complots, de trahisons, de guerres, d’emprisonnements, d’assassinats, de massacres. Je ne le conteste pas, au contraire, je veux même le souligner, pour qu’il apparaisse, avec la plus grand clarté, qu’en face de cet immense poids de cruautés qu’il devait subir, commettre et vivre, il lui était impossible de disposer d’un volume pareillement immense de compassion. Cela aurait dépassé les capacités humaines ! Pour pouvoir vivre sa vie telle qu’elle était, il ne pouvait qu’anesthésier puis complètement  oublier sa faculté de compatir. » (p.37-38)

Source : Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, Folio, 2015.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Camus sur le pétale de rose

« Penser, c’est réapprendre à voir, à être attentif (…) ».

Chouette pierre

Accorder au monde la pluralité du singulier, ne pas réduire l’unique de chaque chose à des catégories générales, à des concepts englobant toutes les occurrences de ce qui se ressemble, en faisant ainsi disparaitre ce qui rend particulier, spécial et unique. C’est ainsi qu’Albert Camus présente l’apport de Husserl et de la phénoménologie à la restitution du monde dans sa diversité. Façon de s’opposer à une certaine globalisation.

Voir aussi Proust sur la petite madeleine, Nietzsche sur pensée, mouvement et nourriture, Nietzsche sur les maîtres à penser.


« Le pétale de rose, la borne kilométrique ou la main humaine ont autant d’importance que l’amour, le désir, ou les lois de la gravitation. Penser, ce n’est plus unifier, rendre familière l’apparence sous le visage d’un grand principe. Penser, c’est réapprendre à voir, à être attentif, c’est diriger sa conscience, c’est faire de chaque idée et de chaque image, à la façon de Proust, un lieu privilégié. Paradoxalement, tout est privilégié. Ce qui justifie la pensée, c’est son extrême conscience ». (p269).

Source : Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, in Œuvres, Quarto-Gallimard, 2013.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Barthes sur la lecture

« La relecture seule sauve le texte de la répétition (…) »

Banc pierre ruines 3

Pour Roland Barthes l’oeuvre n’a pas un sens unique, figé pour toujours. Un sens qui serait défini par la seule volonté de son créateur, ou par celle d’un lecteur savant, fut-il critique professionnel, ou même par une lecture unique. L’oeuvre est riche d’une pluralité débordante. Roland Barthes nous invite à oublier l’auteur autoritaire autant que le lecteur univoque et la lecture unique, pour laisser le passage à des lectures, créatrices et multiples, où l’on investit une et mille fois le texte de son propre imaginaire, en pénétrant dans ce qu’il a d’ouvert, de non determiné, de non écrit. En s’en enrichissant et en l’enrichissant chaque fois d’un apport personnel.

Voir aussi : Ouaknin sur la lecture« Macé sur lecture et vie« , « Manguel sobre lectura silenciosa« , « Manguel sobre lectura y mundo« , Rilke sur le désir d’écrire.


« La relecture seule sauve le texte de la répétition (ceux qui négligent de relire s’obligent à lire partout la même histoire), le multiplie dans son divers et son pluriel ». (p.22)

 » (…) le travail du commentaire, dès lors qu’il se soustrait à toute idéologie de la totalité, consiste précisément à malmener le texte, à lui couper la parole » (p. 21-22)

« L’Auteur lui-même —déité quelque peu vétusté de l’ancienne critique — peut, ou pourra un jour constituer un texte comme les autres : il suffira de renoncer à faire de sa personne le sujet, la butée, l’origine, l’autorité, le Père, d’où dériverait son œuvre, par une voie d’expression ; il suffira de le considérer lui-même comme un être de papier et sa vie comme une bio-graphie (au sens étymologique du terme), une écriture sans réfèrent, (…) » (p. 217).

« Le texte est en somme en somme un fétiche ; et le réduire à l’unité du sens, par une lecture abusivement univoque, c’est couper la tresse, c’est esquisser le geste castrateur » (p. 166).

Source : Roland Barthes, S/Z, Éditions du Seuil/Tel Quel, 1970.

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Kafka sur lui-même

 « Aujourd’hui je n’ose même pas me faire des reproches. Criés à l’intérieur de ce jour vide, leur écho vous soulèverait le cœur »

20140813_212117

Quelques aspects de la personnalité de Kafka, tel qu’il se dévoile dans certains passages de son Journal. Sa tendance à l’auto-dénigrement, voire à s’y complaire. Ses doutes aussi sur ses propres capacités, son manque de volonté, et cette invraisemblable peur alimentaire de se consacrer entièrement à ce qu’il aimait le plus, la littérature. L’humain que nous sommes tous, derrière un écrivain unique.

Voir aussi Shopenhauer sur la liberté du vouloir, Mann sur hypnotisme et volonté de décider.


« Car je suis de pierre, je suis comme ma propre pierre tombale, il n’y a là aucune faille possible pour le doute ou pour la foi, pour l’amour ou la répulsion, pour le courage ou pour l’angoisse, en particulier ou en général, seul vit un vague espoir, mais pas mieux que ne vivent les inscriptions sur les tombes » (p.17).

« Comment j’aimerais expliquer le sentiment de bonheur qui m’habite de temps à autre, maintenant par exemple. C’est véritablement quelque chose de mousseux qui me rempli de tressaillements légers et agréables, et me persuade que je suis doué de capacités dont je peux à tout instant, et même maintenant, me convaincre en toute certitude qu’elles n’existent pas » (p.18)

« Aujourd’hui je n’ose même pas me faire des reproches. Criés à l’intérieur de ce jour vide, leur écho vous soulèverait le cœur » (p22).

« (…) la littérature ne pourrait pas me faire vivre, ne serait-ce qu’à cause de la lenteur de ma production et du caractère particulier de mes écrits. De plus ma santé et mon caractère m’empêchent également de me résoudre à une vie qui ne pourrait être qu’incertaine dans les meilleurs des cas. Voilà pourquoi je suis devenu fonctionnaire dans une compagnie d’assurances » (p.48)

Source : Franz Kafka, Journal, Le Livre de Poche, 2010.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Scorza y destrucción

« La Compañía » construyó un ferrocarril, transportó maquinarias mitológicas y levantó en La Oroya, mil metros más abajo, una fundición cuya pura chimenea asfixiaba a los pájaros en cincuenta kilómetros. »

fond fontaine

Destrucción de la naturaleza andina, de las vetas y de los pueblos cordilleranos. Es una historia sin fin la que cuenta aquí Manuel Scorza. Pasó ayer, pasa hoy y seguirá quizás pasando hasta que la cordillera ya sin entrañas desinfle sus pezones nevados y se derrumbe en una larga cadena de estériles deshechos.

Ver también Arguedas, la piedra y el aguaOrtega y Gasset sur l’autodestruction y Canetti sur l’autodestruction.


« Hacia 1903 les vetas se agotaron. Cerro de Pasco, tan orgullosa de sus doce viceconsulados falleció. Mineros, comerciantes, restauranteros y putas la abandonaron. Cerro, pues, se despobló. El vago censo departamental de 1895 enumera tres mil doscientas veintidós casas (…). Poco a poco Cerro volvió al páramo. En 1900 ya sólo quedaban una cuantas casas acurrucadas alrededor de Plaza Carrión, cuando una víspera de Semana Santa llegó un gigante rubio de alegres ojos azules, de llameante barba, estupendo para comilonas y borracheras. Era un ingeniero, un formidable fornicador que desde el comienzo se mezcló y simpatizó con la gente. (…). El gringo anduvo unos meses recogiendo muestras y mejorando la raza. La gente se le encariñó. Infortunadamente, el pelirrojo enloqueció. Una tarde, unas tres de la tarde, entró al « Valiente de Huandoy », una cantinita de mala muerte donde sobrevivía un cajón de whisky de los buenos tiempos. (…). Al atardecer salió a la calle a repartir whisky. A las siete lo visitaron los diablos azules. Quizás se excedió en las copas; quizás lo afectó, finalmente, la altura: comenzó a reírse como embrujado. La gente siguió bebiendo —se emborrachaba a costillas del cómico—, pero poco a poco, a medida que la risa se convertía en una catarata de carcajadas, en un espumoso mar de risas, en una marejada de burlas, se asustaron y salieron. No había por qué. Una hora después, el de la inolvidable barba crepuscular se secó las lágrimas, depositó un montoncito de libras de oro y salió del « Valiente de Huandoy ». No volvió nunca más.

« El dueño de aquella carcajada se reía de los mineros y cateadores de cuatrocientos años, de Cerro de Pasco, del viento que se lleva las casas, de las nevadas de a metro, de la lluvia interminable, de los muertos que tiritaban de frío, de la soledad. ¡Había descubierto debajo de las vetas agotadas el más fabuloso filón de la minería americana! (…)

« En 1903 vino a establecerse la « Cerro de Pasco Corporation ». Eso es harina de otro costal. La « Cerro de Pasco Corporation Inc. in Delaware », conocida simplemente aquí como « La Cerro o « La Compañía », demostró que el escultor de la inolvidable carcajada, el legendario barba de chivo sabía de qué se reía. « La Compañía » construyó un ferrocarril, transportó maquinarias mitológicas y levantó en La Oroya, mil metros más abajo, una fundición cuya pura chimenea asfixiaba a los pájaros en cincuenta kilómetros. (…). Los balances de la « Cerro de Pasco Corporation » muestran que, en realidad, el de la barba crepuscular sólo se permitió una risita. En poco más de cincuenta años, la edad de Fortunato, la « Cerro de Pasco Corporation » desentrañó más de quinientos millones de dólares de utilidad neta.

« Nadie podía imaginarlo en 1900. « La Compañía », que pagaba salarios delirantes de dos soles, fue acogida con alegría. Una muchedumbre de mendigos, de prófugos de las haciendas, de abigeos arrepentidos, hirvió en Cerro de Pasco. Sólo meses después se percibió que el humo de la fundición asesinaba a los pájaros. Un día se comprobó también que trocaba el color de los humanos: los mineros comenzaron a cambiar de color; el humo propuso variantes: caras rojas, caras verdes, caras amarillas. Y algo mejor: si un cara azul se matrimoniaba con una cara amarilla les nacía una cara verde. (…). Circularon rumores. La « Cerro Pasco » mandó pegar un boletín en todas las esquinas: el humo no dañaba. (…). El Obispo de Huánuco sermoneó que el color era una caución contra el adulterio. Si una cara anaranjada se ayuntaba con una cara roja, de ninguna manera podía salirles una cara verde: era una garantía. » (p. 82 a 84).

Fuente : Manuel Scorza, Redoble por Rancas, Círculo de Lectores, 1984. Páginas 82 a 84.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail