Macé sur lecture et vie

« L’activité de lecture nous fait éprouver à l’intérieur de nous ces formes comme des forces… »

Mur chateau mousseDans l’ouvrage « Façons de lire, manières d’être », un titre qui parle, Marielle Macé explique que la lecture et la vie ne vont pas sur des rails séparés. Par la lecture nous donnons forme, saveur et style à notre existence.

Voir aussi « Ouaknin sur la lecture« , « Manguel sobre lectura silenciosa« , « Manguel sobre lectura y mundo« .


 » (…) les livres offrent à notre perception, à notre attention et à nos capacités d’action des configurations singulières qui sont d’autant des « pistes » à suivre. Les formes qu’ils recèlent ne sont pas inertes, ce ne sont pas des tableaux placés sous les yeux des lecteurs (d’ailleurs les « tableaux » non plus ne sont pas cela), mais des possibilités d’existence orientées. L’activité de lecture nous fait éprouver à l’intérieur de nous ces formes comme des forces, comme des directions possibles de notre vie mentale, morale ou pratique, qu’elle nous invite à nous réapproprier, à imiter, ou à défaire. » (p.14)

« Voilà de qui est à comprendre : la manière dont des lecteurs diversement situés sont amenés à prendre les textes comme des échantillons de l’existence, la façon dont ils en usent comme des véritables démarches dans la vie. » (p.16)

Source : Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, Gallimard, 2011. Pages 14 et 16.

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García Lorca sobre la soledad

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« Cuando me cubre cumple con su deber, pero yo le noto la cintura fría como si tuviera un cuerpo muerto… »

 

Yerma, un nombre que ya suena como quejido. Una mujer casada sin amor, un hombre ausente, obsesionado por la honra y el qué dirán. Rodeada sólo de campo, confinada en el hogar, vigilada, Yerma sueña con un hijo que ni naturaleza ni su marido le quieren dar. Quizás para escapar a la soledad.

« El va con sus ovejas por sus caminos y cuenta el dinero por las noches. Cuando me cubre cumple con su deber, pero yo le noto la cintura fría como si tuviera un cuerpo muerto y yo, que siempre he tenido asco de las mujeres calientes, quisiera ser en aquel instante como una montaña de fuego. » (p92-93)

« Mira que me quedo sola. Como si la luna se buscara ella misma por el cielo. ¡Mírame! » (p.97)

Fuente : Federico García Lorca, Yerma, poema trágico en tres actos y seis cuadros, Ed. Cátedra, 2009 (1934). Páginas 92-93 y 97.

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Schulz sur la tyrannie de la forme

« Son visage et toute sa tête se hérissaient sauvagement d’un poil gris dont les broussailles jaillissaient de ses verrues, de ses oreilles et de ses narines, lui donnant l’aspect d’un vieux renard aux aguets. »

tronc et pierre

 

Bruno Shulz -poète pourtant virtuose de l’image littéraire- campe dans la première citation ci-après un personnage qui s’insurge contre la tyrannie de la forme. C’est, encore et toujours, le personnage du père, sur lequel l’auteur a abondamment exercé son talent travestisseur, le faisant à l’occasion condor, ou renard aux aguets comme dans la deuxième citation proposée ici. Une autre citation de cet auteur dans Schulz sur la maison.

Voir aussi Camus sur le pétale de rose, Rilke sur le désir d’écrire.

« Figures de musée Grévin, mes chères demoiselles -commençait-il-, mannequins de foire, oui : mais même sous cette forme, gardez-vous de les traiter à la légère. La matière ne plaisante pas. Elle est toujours pleine d’un sérieux tragique. Qui oserait penser qu’on peut se jouer d’elle, qu’on peut la façonner pour plaisanter, ou qu’une telle plaisanterie ne pénètre pas, ne s’incruste pas en elle comme une fatalité ? Pressentez-vous la douleur, la souffrance obscure et prisonnière de cette idole qui ne sait pas pourquoi elle est ce qu’elle est ni pourquoi elle doit rester dans ce moule imposé et parodique ? Comprenez-vous la puissance de l’expression, de la forme, de l’apparence, l’arbitraire tyrannie avec laquelle elles se jettent sur un tronc sans défense et le maîtrisent comme si elles en devenaient l’âme, une âme autoritaire et hautaine ? Vous donnez à une quelconque tête de drap et d’étoupe une expression de colère et vous l’abandonnez avec cette colère, cette convulsion, cette tension, vous la laissez enfermée dans une méchanceté aveugle qui ne peut pas trouver d’issue. » (p.73-74).

« (…) mon père était déjà fourvoyé, soumis, adonné à l’autre sphère… Son visage et toute sa tête se hérissaient sauvagement d’un poil gris dont les broussailles jaillissaient de ses verrues, de ses oreilles et de ses narines, lui donnant l’aspect d’un vieux renard aux aguets.

« L’odorat et l’ouïe étaient chez lui étonnamment affinés. On voyait au jeu de sa face silencieuse et tendue, que ses sens le laissaient en contact permanent avec le monde invisible des recoins obscurs, des trous de souris, des vides sous les parquets vermoulus et des conduits de cheminées. » (p.90)

« Tous les craquements, les bruits nocturnes, la vie secrète et grinçante des planchers trouvaient en lui un observateur aussi vigilant qu’infaillible, à la fois espions et complice. » (P.90)

Source : Bruno Schulz, Les boutiques de cannelle, Gallimard, 2011. Pages 73-74 et 90.

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Kundera sur rire et vérité

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 » N’ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la vérité est claire (…). « 

Agélaste, mot pris du grec signifiant « celui qui ne rit pas« . Un parmi les nombreux néologismes que Rabelais a fait entrer dans la langue française, mais par la suite oublié. Rabelais se plaignait énormément de ces agélastes, « si atroces contre lui », qu’il avait failli cessé d’écrire. Dans les citations suivantes, en réfléchissant au roman et à l’art, Milan Kundera ressuscite ce néologisme oublié et le rapproche du kitsch, attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre, « traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion« . Sur le comique de la prétention à la vérité, voir aussi Ortega y Gasset sur rire et vérité.

« Il n’y a pas de paix possible entre le romancier et l’agélaste. N’ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la vérité est claire, que tous les hommes doivent penser la même chose et qu’eux mêmes sont exactement ce qu’ils pensent être. Mais c’est précisément en perdant la certitude de la vérité et le consentement unanime des autres que l’homme devient individu. Le roman, c’est le paradis imaginaire des individus. C’est le territoire où personne n’est possesseur de la vérité, ni Anna ni Karénine, mais où tous ont le droit d’être compris, et Anna et Karénine. » (p.187-188)

« Les agélastes, la non-pensée des idées reçues, le kitsch, c’est le seul et même ennemi tricéphale de l’art né comme l’écho du rire de Dieu et qui a su créer ce fascinant espace imaginaire où personne n’est possesseur de la vérité et où chacun a le droit d’être compris ». (192-193)

Source : Milan Kundera, L’art du Roman, Folio, 2010. Pages 187-188 et 192-193.

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Schulz sur la maison

Maison Provence

  « Savez-vous, disait mon père, qu’il y a dans les vieux logements des pièces dont on a oublié l’existence ? « 

 

Une citation de Bruno Schulz, auteur qui ne se déprend pas de la torpeur provinciale, ni des souvenirs d’enfance. La maison familiale, celle du père, lieu de la première intimité, il semble ne jamais l’avoir quittée. Dans le récit de Schulz, le narrateur pointe des oublis dans une maison que l’on n’oublie pas. Sur la place de la maison dans l’existence humaine, voir « Bachelard sur la maison » et, aussi, Chamoiseau sur maison et enfance.

Voici la citation complète de Schulz :

« Savez-vous, disait mon père, qu’il y a dans les vieux logements des pièces dont on a oublié l’existence ? Abandonnées depuis des mois, elles dépérissent entre leurs murs, et il arrive qu’elles se renferment sur elles-mêmes, se recouvrent de briques et, irrémédiablement perdues pour notre mémoire, perdent elles-mêmes peu à peu l’existence. Le portes qui y conduisent, sur le palier d’un vague escalier de service, peuvent échapper si longtemps à l’attention des habitants, qu’elles s’enfoncent et pénètrent dans le mur, où leurs traces s’effacent, confondues avec le réseau des fissures et des fentes »

Source : Bruno Schulz, « Fin du traité des mannequins » in Les Boutiques de Cannelle, Gallimard, 2011. Page 77.

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MacCann sur le funambule

Funambule J-C C
Oeuvre de Jean-Claude Cally

 » Il transporte sa vie d’une extrémité à l’autre. »

 » La beauté pour motivation. Le ravissement ultime d’une marche. Tout réécrire depuis là haut. D’autres possibles à forme humaine. Par-delà les lois de l’équilibre. Être un instant sans corps et venir à la vie. »

Citations extraites de l’ouvrage de Colum MacCann « Et que le monde poursuive sa course folle », Belfond 1914, p.211. L’auteur y fait le récit de l’exploit de Philippe Petit, funambule entre les Twin Towers en 1974, avant leur tragique destruction. L’artiste français Jean-Claude Cally: « La puissance et la poésie de Colum MacCann m’ont inspiré pour la réalisation de sculptures et peintures sur le sujet du funambulisme. » 


Le propos de Colum MacCann fait penser au funambule de Nietzsche (« Ainsi parlait Zarathoustra », 10 18, 1972. Page 14), que nous rappelons ici:

« Il est dangereux de passer de l’autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière, dangereux de frissonner et de s’arrêter.

« Ce qu’il y a de grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but : ce que l’on aime dans l’homme, c’est qu’il est un passage et une chute.

« J’aime ceux qui ne savent pas vivre à moins de se perdre, car ce sont ceux qui passent à l’autre rive. »

Un raprochement est aussi à faire avec « Klemperer sur le balancier« .

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Zweig sur la Guerre de 14-18

Il a connu les deux guerres mondiales et la montée du nazisme, des « ébranlements volcaniques » qui en finirent avec monde où il avait grandi. Exilé, devenu apatride, coupé de toutes ses racines, de tout passé et de tout futur, Stefan Zweig se suicide avec sa femme Lotte en 1942, au Brésil. La veille il envoie à l’éditeur le manuscrit de ses mémoires, écrits pour transmettre « ne serait-ce qu’une parcelle de vérité, vestige de cet édifice effondré. »

De la guerre il dira que son ombre ne l’a jamais quitté, qu’elle a voilé de deuil chacune de ses pensées, de jour et de nuit. On présente ici quelques citations sur la guerre de 14-18, notamment sur le rôle joué par des artistes et des intellectuels dans la propagande. Des propos qui résonnent avec ceux écrits en 1942 par Albert Einstein dans sa lettre à Sigmund Freud. Voir citation « Einstein sur la guerre« .

 

« Le lendemain en Autriche ! Dans chaque station étaient collées les affiches qui avaient annoncé la mobilisation générale. Les trains se remplissaient de recrues qui allaient prendre leur service, des drapeaux flottaient. À Vienne la musique résonnait et je trouvai toute la ville en délire. La première crainte qu’inspirait la guerre que personne n’avait voulu, ni le peuple, ni le gouvernement, cette guerre qui avait glissé contre leur propre intention des mains maladroites des diplomates qui en jouaient et bluffaient, s’était retournée en subit enthousiasme. Des cortèges se formaient dans les rues partout s’élevaient soudain des drapeaux, s’agitaient des rubans, montaient des musiques; les jeunes recrues s’avançaient en triomphe, visages rayonnants, parce qu’on poussait des cris d’allégresse sur leur passage à eux, les petites gens de la vie quotidienne que personne, d’habitude, ne remarquait ni ne fêtait. » (p.(264-265).

« Cette houle se répandit si puissamment (…), elle arracha des ténèbres de l’inconscient, pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud, avec sa profondeur de vues, appelait le « dégoût de la culture », le besoin de s’évader une fois pour toutes du monde bourgeois (…) et d’assouvir les instincts sanguinaires immémoriaux. » (p.266)

« Et puis en 1914, après un demi-siècle de paix, que savaient de la guerre les grandes masses? Elles ne la connaissaient pas. Il ne leur était guère arrivé d’y penser. Elle restait une légende et c’était justement cet éloignement qui l’avait faite héroïque et romantique. » (p.268)

 » (…) prémuni comme je l’étais contre cet accès de fièvre de la première heure, je demeurais bien résolu à ne point me laisser ébranler dans mes convictions qu’une union de l’Europe était nécessaire, par une lutte fratricide qu’avaient déchaînée des diplomates maladroits et des marchands de munitions brutaux. » (p.271)

« Presque tous les écrivains allemands (…) se croyaient obligés, comme au temps des anciens Germains, de jouer les bardes et d’enflammer de leur chants et de leurs runes les combattants qui allaient au front pour les encourager à bien mourir (…) Les savants étaient pire. Les philosophes ne connaissaient soudain plus d’autre sagesse que de déclarer la guerre un « bain d’acier » bienfaisant (…) À leurs côtés se rangeaient les médecins qui vantaient leurs prothèses avec une telle emphase qu’on avait presque envie de se faire amputer une jambe pour remplacer le membre sain par un appareil artificiel. Les prêtres de toutes les confessions ne voulaient pas rester en retrait et mêlaient leurs voix au chœur (…) et cependant tous ces hommes étaient les mêmes dont nous admirions encore une semaine, un mois auparavant, la raison, la force créatrice, la dignité humaine (…) Plusieurs, à la vérité, sentirent bientôt sur leur langue la saveur amère du dégoût que leur inspirait leur propre parole, quand la mauvaise eau de vie du premier enthousiasme se fût évaporée. » (p.272-273)

« Or il est dans la nature humaine que des sentiments violents ne sauraient durer indéfiniment (…) et l’organisation militaire le sait. C’est pourquoi elle a besoin d’un aiguillonnement artificiel, d’un continuel doping de l’excitation, et ce travail de stimulation c’est aux intellectuels qu’il incombait, aux poètes, aux écrivains aux journalistes (…) Ils avaient battu le tambour de la haine et continuèrent de le battre jusqu’à ce que le plus impartial sentît ses oreilles tinter et son cœur frémir. Presque tous, en Allemagne, en France, en Italie, en Russie, en Belgique, servaient la propagande de guerre et par là même la folie, la haine collective, au lieu de la combattre. » (p.277)

Source : Stefan Zweig, Le monde d’hier, souvenirs d’un Européen, Le livre de poche, 2011.

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Hesse sur les médias

« … la manière dont toutes ces informations étaient communiquées, filtrées et formulées, était manifestement marquée au coin d’une fabrication en série, hâtivement exécutée par des éléments irresponsables« .

Il est question dans « Le jeu des perles de verre », roman publié pour la première fois en 1943, d’une société en décadence culturelle dont la crise ouvre la voie à une utopie imaginée par l’auteur. La citation proposée concerne en particulier la crise de la presse : des propos qui ne manquent pas dans la réalité actuelle. Voir aussi « Hesse sur les personnalités médiatiques« , « Bukowski sur la littérature actuelle ».

« Qu’un tableau célèbre changeât de mains, qu’un manuscrit de valeur fût mis aux enchères, un château ancien dévoré par les flammes, le porteur d’un vieux nom aristocratique mêlé à un scandale, les lecteurs en trouvaient dans les milliers d’articles de variétés bien plus qu’un simple compte rendu : le jour même, au plus tard le lendemain, on leur fournissait par surcroît une foule de renseignements anecdotiques, historiques, psychologiques, érotiques et autres sur le sujet à l’ordre du jour ; sur chaque évènement d’actualité on s’empressait de répandre des flots d’encre ; et la manière dont toutes ces informations étaient communiquées, filtrées et formulées, était manifestement marquée au coin d’un fabrication en série, hâtivement exécutée par des éléments irresponsables. » (p.1457)

Source : Hermann Hesse, Le jeu des perles de verres in Romans et Nouvelles ; Le livre de poche, 2005. Page 1457.

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Machado sobre la locura

No pasa nada

Antonio Machado, poeta de equipaje ligero, nostalgia llevaba en su maleta azul marina. La misma que tenemos todos, que nos reveló él. Se presentan aquí dos estrofas del poema « Un Loco ».  Ecos en « Balada para un loco » de Horacio Ferrer con música de Astor Piazzola

 

« Por un camino en la árida llanura,

entre álamos marchitos,

a solas con su sombra y su locura,

va el loco, hablando a gritos. »

« No fue por una trágica amargura

esta alma errante desgajada y rota;

purga un pecado ajeno: la cordura,

la terrible cordura del idiota. »

 

Fuente : Antonio Machado, Un loco in Mi corazón os lleva, Antología PoéticaEdiciones Vitrubio, 2013. (páginas 42-43)

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Hesse sur les personnalités médiatiques

Herman Hesse commence à rédiger « Le jeu des perles de verre » peu avant l’arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne, et y met le point final en 1942. Il est question dans ce roman d’une société en décadence culturelle dont la crise ouvre la voie à une utopie imaginée par l’auteur. Par ce cheminement il tentait de reléguer une actualité gênante à un passé surmonté. La description de cette décadence culturelle transpose en effet son sentiment sur l’époque, qu’il a par ailleurs qualifiée de « présent maléfique ». Les citations proposées dépeignent en particulier la crise de la presse et du monde intellectuel : des fictions qui résonnent aujourd’hui.

Cette vision romanesque de la dégradation intellectuelle rappelle les analyses faites quelques années auparavant par José Ortega y Gasset sur les spécialistes barbares.

 

« Il faut avouer qu’une partie des exemples d’avilissement, de vénalité, de reniement de soi que donnait l’esprit à cette époque et qui nous sont cités par Coldebique sont vraiment stupéfiants. » (p.1456)

« (…) je veux dire les « articles de variétés ». Il semble qu’ils aient été faits par millions : ils devaient constituer un élément particulièrement prisé de la matière de la presse quotidienne, former le principal aliment des lecteurs en mal de culture, et constituer des comptes rendus ou plutôt des « causeries » sur mille espèces d’objets du savoir. Les plus intelligents des auteurs de ces articles de variétés ironisaient souvent eux-mêmes, semble-t-il, sur leur propre travail : du moins Coldebique avoue-t-il avoir rencontré beaucoup d’écrits de ce genre, dans lesquels il incline à voir un persiflage de l’auteur par lui-même, car sans cela ils seraient proprement incompréhensibles (…) Les rédacteurs de ces aimables bavardages étaient les uns employés par les journaux, les autres « indépendants » ; souvent même on les qualifiait d’écrivains, mais il semble aussi que beaucoup d’eux se soient recrutés parmi les clercs, qu’ils aient même été des professeurs d’université réputés (…) Quand nous lisons les titres des causeries de cette espèce cités par Coldebique, ce qui nous surprend le plus n’est pas tant qu’il se soit trouvé des gens pour faire de cette lecture leur pâture quotidienne, que de voir des auteurs réputés et classés, en possession d’une bonne culture de base, aider à « alimenter » cette gigantesque consommation de curiosités sans valeur (…) De temps à autre, on se plaisait particulièrement à interroger des personnalités sur des questions à l’ordre du jour ; Coldebique consacre un chapitre spécial à ces entretiens au cours desquels on faisait, par exemple, exprimer à des chimistes réputés  ou à des pianistes virtuoses leur opinion sur la politique, tandis que des acteurs en vogue, des danseurs, des gymnastes, des aviateurs ou même des poètes devaient dire ce qu’ils pensaient des avantages et des inconvénients du célibat, leur sentiment sur les causes présumées des crises financières, etc. La seule chose qui importât, c’était d’associer un nom connu à un sujet qui se trouvait être d’actualité. » (p.1456-1457)

Source : Hermann Hesse, Le jeu des perles de verres in Romans et Nouvelles ; Le livre de poche, 2005. (pages 1456-1457)

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