« …la brutalité de l’insulte s’accompagne d’une méfiance pour le choix attentif des mots… »
Le rétrécissement du langage le rend inapte à exprimer des idées complexes, voire à les penser. Confronté à des situations difficiles ou tendues, l’être mal outillé aura tendance à s’exprimer impulsivement, autrement l’impossible nuance le réduirait au silence. D’ou la prolifération de l’insulte, et de la violence, dans ces jours de déclin de la langue. Nous reproduisons ici les propos sur le rôle de l’insulte que l’historienne Mona Ozouf a tenus dans un entretien récent avec Eric Fottorino.
Voir aussi, Klemperer sur la langue nazie, Ortega y Gasset sur la dégradation de la langue , Bloch sur les fausses nouvelles, Lançon sur Charlie.
E.R. Vous parlez du langage, des connotations sexuelles de l’insulte. Que faut-il y voir?
M.O. « Le sentiment qu’avec l’insulte, on touche le vrai du vrai. Elle sert de révélateur, elle dit de manière abrupte ce qui avait été longtemps caché. Et caché sous l’abus des mots. La confiance mise dans la brutalité de l’insulte s’accompagne d’une méfiance pour le choix attentif des mots -choix lié-, pense-t-on, à la comédie sociale et au mensonge. On retrouve ce trait partout dans le discours des Gilets Jaunes. Celui qui a la maîtrise des mots est immédiatement suspect d’enrubanner la réalité. Il se livre à l’enfumage, c’est la fumée des mots, le brouillard verbal qui dissimule volontairement la réalité crue. »
Revue ZADIG, N°1 2019. Propos recueillis par Eric Fottorino.