De Swaan sur Arendt et la banalité du mal

« Cette stratégie de camouflage fut portée à la perfection par Servatius, l’avocat d’Eichmann (…) »


Pavés et feuilleL’idée de banalité du mal doit être prise avec précaution. Selon Abraham de Swaan, en tout cas, c’est en tombant dans un piège, celui de la stratégie de la défense d’Eichmann lors du procès de Jérusalem, qu’Hannah Arendt l’aurait conçue. 

Une collaboration signée Drives en réaction à l’article Arendt sur Eichmann et la banalité du malVoir aussi Enríquez Gómez sobre la Inquisición ; Tchekhov sur l’aveuglement ;  


« Dans la majorité des procès menés contre les criminels de guerre, ceux-ci s’étaient jusqu’alors présentés comme des citoyens ordinaires, pas spécialement motivés par les tâches dont ils devaient s’acquitter, faisant plutôt preuve de tiédeur dans leurs convictions idéologiques, ambitieux peut-être mais pas de façon démonstrative, relativement peu enclins à la haine raciale ou ethnique et ne manifestant pas une loyauté débordante au chef du parti. Se reconnaître de fortes motivations risquait somme toute de révéler leur implication personnelle dans le travail d’extermination, et par là même de souligner leur responsabilité individuelle.

« Cette stratégie de camouflage fut portée à la perfection par Servatius, l’avocat d’Eichmann, qui, s’il échoua à duper l’accusation et le juge, réussit à berner quelques-uns des journalistes qui assistaient au procès (en particulier Hannah Arendt ainsi d’ailleurs que l’écrivain néerlandais Harry Mulisch). Ceci alors même que l’on savait qu’Adolf Eichmann avait été un chasseur de Juifs fanatique, connaissant de façon précise le sort réservé à ses proies. Dans les interviews qu’il donna à Willem Sassen — ancien Waffen-SS hollandais qu’il avait connu en Argentine — et dont une version partielle, expurgée par la famille Sassen, fut publiée dans le Time Weekly, il affirmait que, tout en n’ayant aucun regret, il aurait été heureux de pouvoir exterminer en totalité les 10,3 millions de Juifs. Arendt attirait l’attention sur le fait que, pendant et après la guerre, Eichmann avait à plusieurs reprises fanfaronné en affirmant : « Je sauterai dans ma tombe en riant, car c’est une grande satisfaction pour moi que d’avoir sur la conscience la mort de cinq millions de Juifs ». Mais écartant cet aveu singulier en le qualifiant de « rodomontade », elle ajoutait : « C’est sa vantardise qui perdit Eichmann ». En fait Eichmann ne se vantait pas, il était même plutôt sérieux, et ce ne fut certainement pas ce vice qui lui causa des ennuis, mais le fait qu’il avait joué un rôle clé dans l’extermination de millions de Juifs. » (p.32-33)

Source : Abraham de Swaan, Diviser pour tuer. Les régimes génocidaires et leurs hommes de main, Seuil, 2016.

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Ricoeur sur la violence

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« (…) les langues et les cultures sont jetées au brasier du pathétique ; une totalité monstrueuse est équipée pour le danger et la mort ; Dieu lui-même est allégué (…)

Appréhender le phénomène de la violence politico-religieuse, voilà un souci bien actuel pour les penseurs d’une société apaisée. Or, réfléchir sur un évènement violent suppose d’élargir la focale bien au-delà de sa forme particulière. On ne peut en rendre compte seulement par l’identification de quelques facteurs de contexte. C’est le sens des extraits que nous proposons ici d’un texte de Paul Ricoeur.

Voir aussi Nietzsche sur jeunesse et explosivité, Freud sur la guerre, Freud sur liberté, sécurité et culture, Hobbes sur sécurité et liberté, Einstein sur la guerre.


« (…) un mouvement non violent court toujours le risque de limiter la violence à une forme particulière à laquelle il s’attaque avec obstination et étroitesse ; il faut avoir mesuré la longueur, la largeur, la profondeur de la violence — son étirement au long de l’histoire, l’envergure de ses déterminations psychologiques, sociales, culturelles, spirituelles, son enracinement en profondeur dans la pluralité même des consciences —, il faut pratiquer jusqu’au bout cette prise de conscience de la violence par quoi elle exhibe sa tragique grandeur, apparait comme le ressort même de l’histoire, « la crise » (…)  qui, soudain, change la configuration de l’histoire. » (p.266).

« Que la violence soit de toujours et de partout, il n’est que de regarder comment s’édifient et s’écroulent les empires, s’installent les prestiges personnels, s’entredéchirent les religions, se perpétuent et se déplacent les privilèges de la propriété et du pouvoir, comment même se consolide l’autorité des maîtres à penser, comment se juchent les jouissances culturelles des élites sur le tas des travaux et des douleurs des déshérités. » (p.267)

« La psychologie sommaire qui gravite autour du plaisir et de la douleur, du bien-être et du bonheur, omet l’irascible, le goût de l’obstacle, la volonté d’expansion, de combat et de domination, les instincts de mort et surtout cette capacité de destruction, cet appétit de catastrophe qui est la contrepartie de toutes les disciplines qui font de l’édifice psychique de l’homme un équilibre instable et toujours menacé. Que l’émeute explose dans la rue, que la patrie soit proclamée en danger, quelque chose en moi est rejoint et délié, à quoi ni le métier ni le foyer, ni les quotidiennes tâches civiques ne donnaient issue ; quelque chose de sauvage, quelque chose de sain et de malsain, de jeune et d’informe, un sens de l’insolite de l’aventure, de la disponibilité, un goût pour la rude fraternité et pour l’action expéditive, sans médiation juridique ni administrative. L’admirable est que ces dessous de la conscience ressurgissent au niveau de plus hautes couches de la conscience : ce sens du terrible est aussi le sens idéologique ; soudain la justice, le droit, la vérité prennent des majuscules en prenant les armes et en s’auréolant de sombres passions ; les langues et les cultures sont jetées au brasier du pathétique ; une totalité monstrueuse est équipée pour le danger et la mort ; Dieu lui-même est allégué : son nom est sur les ceinturons dans les serments, dans la parole des aumôniers casqués. » (p.268).

Source : Paul Ricoeur, Histoire et vérité, Essais-Points, 2001.

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Arendt sur Eichmann et la banalité du mal

« Simplement, il ne s’est jamais rendu compte de ce qu’il faisait »

UglyUne idée qui fait florès mais qui appelle le débat. L’homme pourrait faire le mal sans en être conscient, sans avoir une volonté profonde de le faire, juste par un défaut de pensée sur la conséquence de ses actes. La banalité du mal ne renvoie pas à un mal banal, mais à un mal qui, même gravissime, n’a pas de cause radicale. C’est en observant Adolf Eichmann lors de son procès à Jérusalem en 1961 qu’Anna Arendt a forgé cette notion. On dispose aujourd’hui de documents montrant qu’Eichmann était conscient de ses actes et fier de les avoir commis ; il n’était donc pas dans la banalité du mal. Mais la question reste posée : si Arendt semble s’être trompée sur ce cas précis, le concept lui-même peut-il nous aider à comprendre la violence meurtrière de nos jours ?

Voir aussi de Swann sur Arendt et la banalité du malRosset sur religion et violence ; Bacon sur peinture, écrans et violence ; Enríquez Gómez sobre la Inquisición ; Tchekhov sur l’aveuglement ; Nietzsche sur jeunesse et explosivité; Freud sur liberté, sécurité et culture 


« (…) je n’ai parlé de la banalité du mal qu’au seul niveau des faits, en mettant en évidence un phénomène qui sautait aux yeux lors du procès. Eichmann n’était ni un Iago ni un Macbeth ; et rien n’était plus éloigné de son esprit qu’une décision, comme chez Richard III, de faire le mal par principe. Mis à part un zèle extraordinaire à s’occuper de son avancement personnel, il n’avait aucun mobile. Et un tel zèle en soi n’était nullement criminel ; il n’aurait certainement jamais assassiné son supérieur pour prendre son poste. Simplement, il ne s’est jamais rendu compte de ce qu’il faisait, pour le dire de manière familière. (p.1295)

« (…) il y avait un fait incontestable : Eichmann n’était pas fou au sens psychologique du terme (…). Pire, ce n’était sûrement pas un cas de haine morbide des Juifs, d’antisémitisme fanatique, ni d’endoctrinement d’aucune sorte. Lui, « personnellement », n’avait jamais rien eu contre les Juifs ; au contraire, il avait de nombreuses « raisons personnelles » de ne pas les haïr. (…). (p.1043-1044)

« (…). Et les juges ne le crurent pas, parce qu’ils étaient trop bons (…) pour admettre qu’une personne moyenne, « normale », ni faible d’esprit, ni endoctrinée, ni cynique, puisse être absolument incapable de distinguer le bien du mal. (…). Leur argumentation était fondée sur l’hypothèse que l’accusé, comme toutes les « personnes normales », avait dû être conscient de la nature criminelle de ses actes ; (…). (p1044)

Source : Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Quarto-Gallimard, 2002.

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Hatzfeld et le souvenir des rescapés

« Le rescapé, il a tendance à ne plus se croire réellement vivant, c’est-à-dire celui qu’il était auparavant, et d’une certaine façon, il vit un peu de ça »

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Le génocide Rwandais. Des rescapés qui ne peuvent échapper au souvenir. Des images et des visages qui hantent leurs nuits et leurs jours, qui brouillent les frontières du réel. Le mal de vivre avec cet impossible oubli, le besoin d’en parler. Nous reproduisons ici quelques extraits de témoignages recueillis par Jean Hatzfeld.

Voir aussi Appelfeld sur vie et mort.


« Un génocide, c’est un film qui passe tous les jours devant les yeux de celui qui en a réchappé et qu’il ne sert à rien d’interrompre avant la fin. » (p.213)


« Souvent je regrette le temps gâché à penser à ce mal. Je me dis que cette peur nous ronge le temps que la chance nous a préservé. » (p.226)


« Le rescapé, il a tendance à ne plus se croire réellement vivant, c’est-à-dire celui qu’il était auparavant, et d’une certaine façon, il vit un peu de ça ». (p.113)


« Chez le rescapé, je crois que quelque chose de mystérieux s’est bloqué au plus profond de son être pendant le génocide. Il sait qu’il ne va jamais savoir quoi. Alors il veut en parler tout le temps. Il y a toujours quelque chose de nouveau à dire et à écouter. » (p.112)


Quand je me retrouve seule au champ, j’ai tendance parfois à revoir ça avec trop de chagrin. Alors je pose la houe et je vais chez des avoisinants pour bavarder. On chante, on se partage un jus et ça me fait du bien. » (p.31)


« On parle des tueries presque tous les jours avec les voisins, sinon on en rêve la nuit. (…). Parfois on blague de tout ça, on rit, et quand même on revient, à la fin, sur les instants fatals. »  (p.43)

« Quand on a vécu en vrai un cauchemar éveillé, on ne trie plus comme auparavant les pensées de jour et les pensées de nuit. Depuis le génocide, je me sens toujours poursuivie, le jour, la nuit. Dans mon lit je me tourne contre les ombres ; sur le chemin, je me retourne sur des silhouettes qui me suivent. J’ai peur pour mon enfant quand je croise des yeux inconnus. Parfois je rencontre le visage d’un interahamwe près de la rivière et je me dis : « Tiens, Francine, cet homme, tu l’as déjà vu en rêve », et me souviens seulement après, que ce rêve était ce temps, bien éveillé, du marais. » (p.46)


« Des visages d’amis ou de parents s’effacent, mais cela ne veut pas dire qu’on les néglige peu à peu. On n’oublie rien. Moi il m’arrive de passer plusieurs semaines sans revoir les visages de mon épouse et de mes enfants défunts, alors que j’en rêvais toutes les nuits auparavant. Mais pas un seul jour je n’oublie qu’ils ne sont plus là, qu’ils ont été coupés, qu’on a voulu nous exterminer, que des avoisinants de longue date se sont transformés en animaux en quelques heures. Tous les jours je prononce le mot « génocide. » (p.112)


Source : Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie, récits des marais Rwandais, Points, 2002. Photographies de Raymond Depardon.

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Scorza y destrucción

« La Compañía » construyó un ferrocarril, transportó maquinarias mitológicas y levantó en La Oroya, mil metros más abajo, una fundición cuya pura chimenea asfixiaba a los pájaros en cincuenta kilómetros. »

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Destrucción de la naturaleza andina, de las vetas y de los pueblos cordilleranos. Es una historia sin fin la que cuenta aquí Manuel Scorza. Pasó ayer, pasa hoy y seguirá quizás pasando hasta que la cordillera ya sin entrañas desinfle sus pezones nevados y se derrumbe en una larga cadena de estériles deshechos.

Ver también Arguedas, la piedra y el aguaOrtega y Gasset sur l’autodestruction y Canetti sur l’autodestruction.


« Hacia 1903 les vetas se agotaron. Cerro de Pasco, tan orgullosa de sus doce viceconsulados falleció. Mineros, comerciantes, restauranteros y putas la abandonaron. Cerro, pues, se despobló. El vago censo departamental de 1895 enumera tres mil doscientas veintidós casas (…). Poco a poco Cerro volvió al páramo. En 1900 ya sólo quedaban una cuantas casas acurrucadas alrededor de Plaza Carrión, cuando una víspera de Semana Santa llegó un gigante rubio de alegres ojos azules, de llameante barba, estupendo para comilonas y borracheras. Era un ingeniero, un formidable fornicador que desde el comienzo se mezcló y simpatizó con la gente. (…). El gringo anduvo unos meses recogiendo muestras y mejorando la raza. La gente se le encariñó. Infortunadamente, el pelirrojo enloqueció. Una tarde, unas tres de la tarde, entró al « Valiente de Huandoy », una cantinita de mala muerte donde sobrevivía un cajón de whisky de los buenos tiempos. (…). Al atardecer salió a la calle a repartir whisky. A las siete lo visitaron los diablos azules. Quizás se excedió en las copas; quizás lo afectó, finalmente, la altura: comenzó a reírse como embrujado. La gente siguió bebiendo —se emborrachaba a costillas del cómico—, pero poco a poco, a medida que la risa se convertía en una catarata de carcajadas, en un espumoso mar de risas, en una marejada de burlas, se asustaron y salieron. No había por qué. Una hora después, el de la inolvidable barba crepuscular se secó las lágrimas, depositó un montoncito de libras de oro y salió del « Valiente de Huandoy ». No volvió nunca más.

« El dueño de aquella carcajada se reía de los mineros y cateadores de cuatrocientos años, de Cerro de Pasco, del viento que se lleva las casas, de las nevadas de a metro, de la lluvia interminable, de los muertos que tiritaban de frío, de la soledad. ¡Había descubierto debajo de las vetas agotadas el más fabuloso filón de la minería americana! (…)

« En 1903 vino a establecerse la « Cerro de Pasco Corporation ». Eso es harina de otro costal. La « Cerro de Pasco Corporation Inc. in Delaware », conocida simplemente aquí como « La Cerro o « La Compañía », demostró que el escultor de la inolvidable carcajada, el legendario barba de chivo sabía de qué se reía. « La Compañía » construyó un ferrocarril, transportó maquinarias mitológicas y levantó en La Oroya, mil metros más abajo, una fundición cuya pura chimenea asfixiaba a los pájaros en cincuenta kilómetros. (…). Los balances de la « Cerro de Pasco Corporation » muestran que, en realidad, el de la barba crepuscular sólo se permitió una risita. En poco más de cincuenta años, la edad de Fortunato, la « Cerro de Pasco Corporation » desentrañó más de quinientos millones de dólares de utilidad neta.

« Nadie podía imaginarlo en 1900. « La Compañía », que pagaba salarios delirantes de dos soles, fue acogida con alegría. Una muchedumbre de mendigos, de prófugos de las haciendas, de abigeos arrepentidos, hirvió en Cerro de Pasco. Sólo meses después se percibió que el humo de la fundición asesinaba a los pájaros. Un día se comprobó también que trocaba el color de los humanos: los mineros comenzaron a cambiar de color; el humo propuso variantes: caras rojas, caras verdes, caras amarillas. Y algo mejor: si un cara azul se matrimoniaba con una cara amarilla les nacía una cara verde. (…). Circularon rumores. La « Cerro Pasco » mandó pegar un boletín en todas las esquinas: el humo no dañaba. (…). El Obispo de Huánuco sermoneó que el color era una caución contra el adulterio. Si una cara anaranjada se ayuntaba con una cara roja, de ninguna manera podía salirles una cara verde: era una garantía. » (p. 82 a 84).

Fuente : Manuel Scorza, Redoble por Rancas, Círculo de Lectores, 1984. Páginas 82 a 84.

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Mao Zedong sur la famine

« Quand il y a la famine tout le monde peut mourir. C’est pourquoi il vaut mieux laisser une moitié de la population mourir afin que l’autre puisse manger à sa faim. »

Mao Zedong, discours devant le Comité Central du Parti Communiste de Chine, le 25 mars 1959.

 

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On trouve cette citation de Mao Zedong dans l’enquête de Phillipe Grangereau, Le grand mensonge, publiée par la Revue XXI, n° 17, Hiver 2012.

Liée à la collectivisation forcée de l’agriculture et à la perversité du système politico-bureaucratique, cette famine a fait en Chine entre trente six et cinquante cinq millions de morts en 1958-62. Les rares denrées étaient réservées aux cadres du Parti Communiste et aux populations urbaines. Cette famine politique, ou « faite par l’homme », rappelle celle de l’URSS en 1932-33 (voir « Vassili Grossman sur la famine en URSS » et « Cholokhov sur la famine en URSS« , ainsi que les réflexions qui s’y attachent).

Phillipe Grangereau présente aussi le témoignage du chercheur chinois Yang Jisheng :

« Bouleversé, il découvre qu’au pire de la famine en janvier et février 1959, les greniers de l’Etat sont pleins : « il y avait encore en réserve six millions cinq cent quarante cinq mille tonnes de céréales », dit-il avec colère. Il ne comprend pas : « A travers tout le pays la population campait autour des greniers à céréales. Les gens criaient et imploraient : parti communiste donne-nous un peu de nourriture. Ils suppliaient à l’entrée des silos à grains, jusqu’à ce que la faim les achève. C’est inimaginable ». Il vibre de rage : « les empereurs des dynasties ouvraient les réserves et les distribuaient à la population en cas de catastrophe ou de pénuries. Mais la direction du Parti Communiste, qui prétendait servir le peuple, a refusé de secourir la population…… »

Source : Phillipe Grangereau, Le grand mensonge, enquête Revue XXI n° 17, Hiver 2012

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Freud sur la guerre

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« (…) je voudrais m’attarder encore un instant sur la pulsion de destruction (…) cette pulsion travaille à l’intérieur de tout être vivant (…) »

Extraits de la réponse faite par Freud à la lettre d’Albert Einstein concernant la possibilité de neutraliser les pulsions agressives qui mènent à la guerre. Il s’agit d’un échange épistolaire suscité et publié par la Société des Nations en 1933, sous le titre « Pourquoi la guerre ? « .

Cet ouvrage a été dédicacé par Freud à Mussolini. Tentative, semble-t-il, de protéger la psychanalyse dans l’Italie fasciste (voir « Roudinesco sur Freud et Mussolini« ) Vu le contenu du texte dédicacé, le choix de Freud ne semble pas avoir été le fruit du pur hasard.

Voir aussi « Onfray sur Freud et Mussolini« , Camus sur le suicide, Ricoeur sur violence, Hobbes sur sécurité et liberté, Freud sur liberté, sécurité et culture.


« Nous supposons que les pulsions de l’homme sont de deux espèces seulement, soit celles qui veulent conserver et réunir —nous les nommons érotiques (…) dans le sens de l’Eros dans le Banquet de Platon, ou sexuelles par une extension consciente du concept populaire de sexualité — et d’autres qui veulent détruire et mettre à mort (…) L’une de ces pulsions est tout aussi indispensable que l’autre, de l’action conjuguée et antagoniste des deux procèdent les phénomènes de la vie ». (p.75-76)

« Quand donc les hommes sont invités à faire la guerre, bon nombre de motifs en eux peuvent y répondre favorablement, nobles et communs, ceux dont on parle à haute voix, et d’autres que l’on passe sous silence (…) Le plaisir pris à l’agression et à la destruction compte certainement parmi eux ; d’innombrables cruautés relevant de l’histoire et du quotidien confirment leur existence et leur force. « (p.76-77)

« (…) je voudrais m’attarder encore un instant sur la pulsion de destruction (…) cette pulsion travaille à l’intérieur de tout être vivant, et a donc pour tendance de provoquer sa désagrégation (…) Elle mériterait en toute rigueur le nom de pulsion de mort, tandis que les pulsions érotiques représentent les aspirations à la vie. La pulsion de mort devient pulsion de destruction en étant retournée (…) vers l’extérieur, sur des objets. L’être humain préserve pour ainsi dire sa propre vie en détruisant une vie étrangère. Une part de la pulsion de mort reste active à l’intérieur de l’être vivant, et nous avons même commis l’hérésie d’expliquer l’apparition de notre conscience morale par un tel retournement de l’agression vers l’intérieur (…) il n’est pas si dénoué d’inconvénients que ce processus s’effectue à une trop grande échelle : cela est franchement malsain, alors même que le retournement de ces forces pulsionnelles vers la destruction dans le monde extérieur soulage l’être vivant et ne peut avoir qu’un effet bénéfique. Cela servirait de disculpation biologique à toutes les tendances haïssables et dangereuses contre lesquelles nous menons le combat. » (p.77)

« Du reste il ne s’agit pas (…) d’éliminer totalement le penchant à l’agressivité chez l’homme  ; on peut tenter de le dévier suffisamment pour qu’il n’ait pas à trouver son expression dans la guerre ». (p.78)

« (…) nous trouvons aisément une formule indiquant les voies indirectes pour combattre la guerre. Si la complaisance à la guerre est une émanation de la pulsion de destruction, on est tenté d’invoquer contre elle l’antagoniste de cette pulsion, l’Eros. Tout ce qui instaure des liaisons de sentiment parmi les hommes ne peut qu’agir contre la guerre (…) Premièrement des relations comme celles avec un objet d’amour, quoique sans buts sexuels. L’autre espèce de relation de sentiment est la liaison par identification. Tout ce qui instaure parmi les hommes des intérêts communs significatifs suscite de tels sentiments communautaires, des identifications. Sur eux repose pour une bonne partie l’édifice de la société humaine » (p.78-79)

« Je vous salue cordialement et si mon exposé vous a déçu, je vous demande pardon. »(p.81)

Source : Lettre de Freud à Einstein, in Sigmund Freud « Oeuvres complètes« , t.XIX, Presses Universitaires de France, 2004. Pages 75 à 79.

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Einstein sur la guerre

« comment est-il possible que la (…) minorité puisse mettre au service de ses désirs la masse du peuple qui, dans une guerre, ne peut que souffrir et perdre ? »

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Voici quelques propos d’Albert Einstein dans son échange épistolaire avec Sigmund Freud au sujet des causes de la guerre. Un échange suscité et publié par la Société des Nations en 1933, sous le titre « Pourquoi la guerre ? » Connu pour son pacifisme, Einstein, sollicité d’abord, a suggéré le nom de Freud comme contrepartie ; il lui posera la question de la canalisation des pulsions humaines de haine et de destruction  (voir des extraits de la réponse de Freud dans « Freud sur la guerre« ).

Ici on a retenu les raisons qui expliquent d’après Einstein les échecs du pacifisme. A comparer avec les citations « Zweig sur la guerre de 14-18« .

Voir aussi : Ricoeur sur la violence, Nietzsche sur jeunesse et explosivité.


« Je pense ici principalement à la présence, au sein de chaque peuple, d’un petit groupe néanmoins résolu, inaccessible aux considérations et aux inhibitions sociales, formé d’hommes pour qui guerre, fabrication et commerce d’armes ne sont rien d’autre qu’une occasion de retirer des avantages personnels, d’élargir le domaine personnel de leur puissance. » (p.67)

« Il se pose aussitôt cette question : comment est-il possible que la susdite minorité puisse mettre au service de ses désirs la masse du peuple qui, dans une guerre, ne peut que souffrir et perdre ? (…) Ici la réponse immédiate semble être : la minorité des dominants, à tel ou tel moment, tient avant tout l’école, la presse et le plus souvent aussi les organisations religieuses. Par ces moyens, elle domine et dirige les sentiments de la grande masse et en fait son docile instrument. » (p.67)

 » (…) Comment est-il possible que la masse se laisse enflammer par lesdits moyens jusqu’à la frénésie et au sacrifice de soi ? La réponse ne peut qu’être : en l’homme vit un désir de haïr et d’anéantir. Cette prédisposition (…) peut être réveillée avec une relative facilité et s’intensifier en psychose de masse. »(p.67)

« Et ici je suis bien loin de penser uniquement à ceux qu’on appelle incultes. D’après mes expériences dans la vie, c’est bien plutôt précisément ce qu’on appelle « intelligence » qui succombe le plus facilement aux fatales suggestions de masse, parce qu’elle n’a pas coutume de puiser directement dans l’expérience de vie, mais que la façon la plus commode et la plus achevée de la capter passe par la voie du papier imprimé. »(p.67-68)

Source : Lettre d’Einstein à Freud, in Sigmund Freud « Oeuvres complètes« , t.XIX, Presses Universitaires de France, 2004. Pages 67 et 68.

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Ortega y Gasset sur l’autodestruction

« Ces réjouissances se prolongèrent jusqu’à la complète destruction de ladite ville. Ce village, pour mieux se livrer à sa joie monarchique, se détruisit lui-même. Admirable Nijar, l’avenir est à toi ! »

Ortega y Gasset a prit le récit de l’autodestruction de Nijar d’un texte d’époque cité par Manuel Danvila dans le « Règne de Charles III » , tome II, p.10, note 2. Il présente des analogies avec celui décrit dans « Canetti sur l’autodestruction. »

20140125_123235_1« J’ai trouvé une amusante caricature de cette tendance à propter vitam, vitae perdere causas dans ce qui arriva à Nijar, village voisin d’Almería, lorsque Charles III fut proclamé roi le 13 septembre 1759. La proclamation se fit sur la grande place. « Sitôt après on demanda d’apporter à boire à toute cette grande affluence qui consomma 77 arrobes de vin et 4 outres d’eau-de-vie, dont les pernicieuses vapeurs chauffèrent de si belle manière les esprits que la foule se dirigea vers le Grenier Municipal avec des vivats répétés, y pénétra, jeta par les fenêtres tout le blé qui s’y trouvait et les 900 réaux du Trésor. De là ils passèrent à la Régie et commandèrent de jeter le tabac et l’argent de la Recette. Ils firent de même dans les boutiques, ordonnant, pour mieux corser la fête, de répandre tous les comestibles et liquides qui s’y trouvaient. L’état ecclésiastique y concouru vivement, puis, à grands cris, on incita les femmes afin qu’elles jetassent avec plus de générosité tout ce qu’elles avaient chez elles, ce qu’elles firent avec le plus complet désintéressement puisqu’il ne resta rien : pain, blé, orge, farine, chaudrons, mortiers et chaises. Ces réjouissances se prolongèrent jusqu’à la complète destruction de ladite ville. Ce village, pour mieux se livrer à sa joie monarchique, se détruisit lui-même. Admirable Nijar, l’avenir est à toi ! »

Source : Ortega y Gasset, La révolte des masses, Éditions Les Belles Lettres, 2011. Page 133, note 2.

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Cholokhov sur la Famine en URSS

Dans cette lettre adressée à Staline, Cholokhov s’insurge contre les réquisitions de blé dont étaient victimes les paysans du Kouban en 1933, région alors en pleine famine, résultat de la collectivisation forcée et des désordres qu’elle a enclenchés. Des propos qui rappellent ceux de Grossman sur la famine en Ukraine au même moment (voir citation « Vassili Grossman sur la famine en Ukraine« ). Pourtant Cholokhov semblait adhérer pour ce qui de l’Ukraine à la thèse officielle que la crise était due au sabotage des koulaks, les paysans dit « riches » (voir réflexion sur la citation « Canetti sur l’autodestruction« ).

Voire aussi des extraits de la réponse de Staline, dans la réflexion attachée.

« Camarade Staline ! « Le district Vechenski, comme beaucoup d’autres districts , n’a pas rempli le plan de livraison de céréales non pas à cause de quelque sabotage koulak, mais à cause de la mauvaise direction locale du Parti. (…) En décembre dernier ; le Comité régional du Parti a envoyé, pour « accélérer » la campagne de collecte, un plénipotentiaire,  le camarade Ovtchinnikov (…) qui a pris les mesures suivantes :

1) prendre toutes les céréales disponibles, y compris  » l’avance  » donnée par la direction des kolkhozes aux kolkhoziens pour l’ensemencement de la récolte future,

2) répartir les livraisons dues par chaque kolkhoze à l’Etat par foyer.

Quels ont été les résultats de ces mesures ? Quand ont commencé les réquisitions (…) les paysans se sont mis à cacher et à enterrer le blé. Maintenant, quelques mots sur les résultats chiffrés de toutes ces réquisitions. Céréales « trouvées » : 5930 quintaux. (…) Et voici quelques méthodes employées pour obtenir ces 593 tonnes

  La méthode du froid. (…) On déshabille le kolkhozien et on le met « au froid « , tout nu, dans un hangar. Souvent, on mettait les kolkhoziens « au froid » par brigades entières.

  La méthode du chaud. On arrose les pieds et les rebords des jupes des kolkhoziennes de kérosène et on y mettait le feu. Puis on l’éteignait. ….

  Dans le kolkhoze Napolovski, un certain Plotkine, plénipotentiaire du Comité de district, forçait les kolkhoziens interrogés à s’allonger sur un poêle chauffé à blanc, puis il les « déchauffait  » en les enfermant nus dans un hangar. (…)

  Dans le kolkhoze Lebiajenski, on alignait les kolkhoziens le long d’un mur et on simulait une exécution. (…) Je pourrais multiplier à l’infini ce genre d’exemples. Ce ne sont pas des « abus » , non, c’est la « méthode « courante de collecte du blé. (…)

S’il vous semble que ma lettre est digne de retenir l’attention du Comité central, envoyez donc ici de véritables communistes qui auront le courage de démasquer tous ceux qui ont porté dans ce district un coup mortel à la construction kolkhozienne. (…) Vous êtes notre seul espoir « 

Mikhaïl Cholokhov, lettre à Staline, 4 avril 1933 (Archives présidentielles, fonds 45 ; inventaire 1, dossier 827 ; f° 7-22)

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