Klein sur image et réalité

Qui dit image, dit cadrage

« (…) il convient donc de rompre, de façon franche, avec nos conceptions habituelles. De renoncer ainsi à toute représentation des objets physiques. »

Dans ce monde encombré de médias, quand nous croyons voir la réalité par l’image, nous ne voyons que la réalité de l’image. Et ça n’est pas la même chose. Qui dit image, dit cadrage, point de vue, choix. Sur les rapports conflictuels entre image et réalité, la physique quantique a son mot à dire : elle montre qu’il y a des réalités physiques qu’aucune image ne peut représenter, déliant ainsi image et connaissance. C’est le sens de ces citations d’Etienne Klein.

« A bout du compte, l’atome de la physique moderne échappe aux représentations imagées. D’ailleurs, on ne parle plus aujourd’hui de « modèle » d’atome, car on ne peut plus en faire de dessin. La seule description admissible de l’atome est celle qui se donne en termes de symboles mathématiques, à l’aide d’un formalisme abstrait dont il est inutile et vain de chercher des figurations intuitives. Du fait de la physique quantique, nous avons donc perdu une représentation bien claire de l’atome, mais nous avons considérablement gagné en compréhension du monde physique. » (p.21)

« Mais il faut se faire une raison : les objets quantiques ont des comportements étranges qu’aucune chose habituelle n’est capable de reproduire. Pour les comprendre il convient donc de rompre, de façon franche, avec nos conceptions habituelles. De renoncer ainsi à toute représentation des objets physiques. » (p.22)

« C’est précisément ce confort-là que la physique quantique a brisé : avec elle, les relations de la réalité et du savoir ont perdu leurs couleurs de fausse évidence. » (p.23)

Source : Etienne Klein, Les secrets de la matière, Librio, 2015. Pages 21, 22, 23.

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Schulz sur la tyrannie de la forme

« Son visage et toute sa tête se hérissaient sauvagement d’un poil gris dont les broussailles jaillissaient de ses verrues, de ses oreilles et de ses narines, lui donnant l’aspect d’un vieux renard aux aguets. »

tronc et pierre

 

Bruno Shulz -poète pourtant virtuose de l’image littéraire- campe dans la première citation ci-après un personnage qui s’insurge contre la tyrannie de la forme. C’est, encore et toujours, le personnage du père, sur lequel l’auteur a abondamment exercé son talent travestisseur, le faisant à l’occasion condor, ou renard aux aguets comme dans la deuxième citation proposée ici. Une autre citation de cet auteur dans Schulz sur la maison.

Voir aussi Camus sur le pétale de rose, Rilke sur le désir d’écrire.

« Figures de musée Grévin, mes chères demoiselles -commençait-il-, mannequins de foire, oui : mais même sous cette forme, gardez-vous de les traiter à la légère. La matière ne plaisante pas. Elle est toujours pleine d’un sérieux tragique. Qui oserait penser qu’on peut se jouer d’elle, qu’on peut la façonner pour plaisanter, ou qu’une telle plaisanterie ne pénètre pas, ne s’incruste pas en elle comme une fatalité ? Pressentez-vous la douleur, la souffrance obscure et prisonnière de cette idole qui ne sait pas pourquoi elle est ce qu’elle est ni pourquoi elle doit rester dans ce moule imposé et parodique ? Comprenez-vous la puissance de l’expression, de la forme, de l’apparence, l’arbitraire tyrannie avec laquelle elles se jettent sur un tronc sans défense et le maîtrisent comme si elles en devenaient l’âme, une âme autoritaire et hautaine ? Vous donnez à une quelconque tête de drap et d’étoupe une expression de colère et vous l’abandonnez avec cette colère, cette convulsion, cette tension, vous la laissez enfermée dans une méchanceté aveugle qui ne peut pas trouver d’issue. » (p.73-74).

« (…) mon père était déjà fourvoyé, soumis, adonné à l’autre sphère… Son visage et toute sa tête se hérissaient sauvagement d’un poil gris dont les broussailles jaillissaient de ses verrues, de ses oreilles et de ses narines, lui donnant l’aspect d’un vieux renard aux aguets.

« L’odorat et l’ouïe étaient chez lui étonnamment affinés. On voyait au jeu de sa face silencieuse et tendue, que ses sens le laissaient en contact permanent avec le monde invisible des recoins obscurs, des trous de souris, des vides sous les parquets vermoulus et des conduits de cheminées. » (p.90)

« Tous les craquements, les bruits nocturnes, la vie secrète et grinçante des planchers trouvaient en lui un observateur aussi vigilant qu’infaillible, à la fois espions et complice. » (P.90)

Source : Bruno Schulz, Les boutiques de cannelle, Gallimard, 2011. Pages 73-74 et 90.

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