Bukowski sur la littérature actuelle

« Je tirais livre après livre des étagères. Pourquoi est-ce que personne ne disait rien? Pourquoi est-ce que personne ne criait? »

trapeciste

L’autre jour une de mes amies me faisait remarquer que depuis belle lurette le site Traces ne montrait aucune activité. Qu’il fallait l’activer, disait-elle, sans trop s’y engager. Or, le soir même je tombai sur une citation de Charles Bukowski qui semblait presque parfaite pour cette noble tâche : elle était comme spécialement faite pour Traces (hormis tout anachronisme) et me je suis promis de l’y envoyer. Bukowski se dit déçu d’une certaine littérature mondialisée et quelque peu anodine, lui préférant la passion des grands écrivains du passé. Ses propos datent de 1979, aujourd’hui il serait peut-être encore plus sévère avec le nombrilisme ambiant et son rejeton, l’auto-fiction. Mais enfin, ne parlons pas à sa place, voici ce qu’il écrivait.

Une collaboration signée Gaston.


« J’étais jeune, affamé, ivrogne, essayant d’être un écrivain. J’ai passé le plus clair de mon temps à lire Downtown à la bibliothèque municipale de Los Angeles et rien de ce que je lisais n’avait de rapport avec moi ou avec les rues ou les gens autour de moi. C’était comme si tout le monde jouait aux charades et que ceux qui n’avaient rien à dire fussent reconnus comme de grands écrivains. Leurs écrits étaient un mélange de subtilité, d’adresse et de convenance, qui étaient lus, enseignés, digérés et transmis. C’était une machination, une habile et prudente « culture mondiale ». Il fallait retourner aux écrivains russes d’avant la révolution pour trouver un peu de hasard, un peu de passion. Il y avait quelques exceptions, mais si peu que les lire était vite fait et vous laissait affamé devant des rangées et des rangées de livres ennuyeux. Avec le charme des siècles à redécouvrir, les modernes n’étaient pas très bons. Je tirais livre après livre des étagères. Pourquoi est-ce que personne ne disait rien? Pourquoi est-ce que personne ne criait? »

Voir aussi : Arendt sur la culture de masse ; Hesse sur les médias ; Ortega y Gasset sur le spécialiste barbare ; Ionesco sur la vacuité ;

Source : Charles Bukowski, Préface à Demande à la poussière de John Fante, Ed. 10/18, avril 2018, page 7.

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Barthes sur la lecture

« La relecture seule sauve le texte de la répétition (…) »

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Pour Roland Barthes l’oeuvre n’a pas un sens unique, figé pour toujours. Un sens qui serait défini par la seule volonté de son créateur, ou par celle d’un lecteur savant, fut-il critique professionnel, ou même par une lecture unique. L’oeuvre est riche d’une pluralité débordante. Roland Barthes nous invite à oublier l’auteur autoritaire autant que le lecteur univoque et la lecture unique, pour laisser le passage à des lectures, créatrices et multiples, où l’on investit une et mille fois le texte de son propre imaginaire, en pénétrant dans ce qu’il a d’ouvert, de non determiné, de non écrit. En s’en enrichissant et en l’enrichissant chaque fois d’un apport personnel.

Voir aussi : Ouaknin sur la lecture« Macé sur lecture et vie« , « Manguel sobre lectura silenciosa« , « Manguel sobre lectura y mundo« , Rilke sur le désir d’écrire.


« La relecture seule sauve le texte de la répétition (ceux qui négligent de relire s’obligent à lire partout la même histoire), le multiplie dans son divers et son pluriel ». (p.22)

 » (…) le travail du commentaire, dès lors qu’il se soustrait à toute idéologie de la totalité, consiste précisément à malmener le texte, à lui couper la parole » (p. 21-22)

« L’Auteur lui-même —déité quelque peu vétusté de l’ancienne critique — peut, ou pourra un jour constituer un texte comme les autres : il suffira de renoncer à faire de sa personne le sujet, la butée, l’origine, l’autorité, le Père, d’où dériverait son œuvre, par une voie d’expression ; il suffira de le considérer lui-même comme un être de papier et sa vie comme une bio-graphie (au sens étymologique du terme), une écriture sans réfèrent, (…) » (p. 217).

« Le texte est en somme en somme un fétiche ; et le réduire à l’unité du sens, par une lecture abusivement univoque, c’est couper la tresse, c’est esquisser le geste castrateur » (p. 166).

Source : Roland Barthes, S/Z, Éditions du Seuil/Tel Quel, 1970.

 

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Ouaknin sur la lecture

Lampadaire tordu

« Aussi, une lecture est-elle une coproduction entre l’auteur et le lecteur. »

La parole peut soigner l’âme, lever les blocages et les clôtures qui s’opposent à l’épanouissement de l’être. Ecrite, elle ouvre à la rencontre avec l’autre, et avec soi-même, à condition de lire en interprétant. Une lecture libératrice des sens inépuisables contenus dans le texte. Tel est le principe de la Bibliothérapie proposée par Marc-Alain Ouaknin. 

Rapprochements possibles avec « Macé sur lecture et vie« , « Manguel sobre lectura silenciosa« , « Manguel sobre lectura y mundo« .


« Tout livre est en puissance une vaste bibliothèque. Le lecteur n’entre pas dans un texte déjà façonné avant lui, dont les sens sont figés et qu’il ne ferait que parcourir passivement, les significations venant à lui sûrement, sans ambiguïté. Non, la lecture est toujours singulière, créatrice de sens multiples.

Aussi, une lecture est-elle une coproduction entre l’auteur et le lecteur. » (p.245)

« Il y a une activité de coopération textuelle, où le lecteur n’est pas la voix haute transposant l’écrit silencieux, mais une réelle production. » (p.244-245)

« Nous sommes ici dans une logique autre que celle du vrai et du faux. Une compréhension est toujours de l’ordre du possible et du « peut-être ». Elle peut être correcte ou juste, mais jamais vraie ou fausse. » (p.242)

« Aucune interprétation n’est recevable si elle est porteuse de violence et de volonté destructrice à l’égard d’autrui. » (p.242)

« La bibliothérapie trouve son acte de naissance dans la rencontre entre la force langagière —(…) qui n’est plus abandonnée aux magiciens, aux prêtres et aux charlatans— et le lieu d’expression primordiale et première de cette force : le livre. » (p.17)

Source : Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie, lire c’est guérir, Seuil, 1994. Pages 17, 242, 244 et 245.

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Manguel sobre lectura silenciosa

 « Pero la lectura silenciosa trajo consigo otro peligro (…) Un libro que puede leerse en privado, sobre el que se reflexiona a medida que el ojo desentraña el significado de las palabras, no está ya sujeto a inmediata aclaración o asesoramiento (…) »

Según Alberto Manguel, la lectura silenciosa sólo se generalizó en el siglo X. Antes, la lectura se hacía normalmente en voz alta y en grupo. Una evolución ligada al aparecimiento de reglas de puntuación, gracias a las cuales el sonido ya no es necesario para distinguir las palabras. A su vez, la lectura silenciosa favore el pensamiento individual del lector, ya no más sometido a la tutela de quienes se pretenden detentores del saber. Ver también « Manguel sobre lectura y mundo » ; acercamiento posible con « Macé sur lecture et vie » y con « Ouaknin sur la lecture« .

« La antigua escritura sobre pergaminos -que ni separaba las palabras ni distinguía entre minúsculas y mayúsculas ni utilizaba puntuación- estaba destinada a personas acostumbradas a leer en voz alta, que permitían al oído desentrañar lo que sólo era para el ojo una sucesión ininterrumpida de signos. » (p.107)

« La separación de las letras en palabras y frases se produjo de manera muy gradual. La mayoría de los sistemas primitivos —los jeroglíficos egipcios, la escritura cuneiforme sumeria, el sánscrito— no utilizaban tales divisiones. » (p.109)

« En el siglo IX la lectura silenciosa era probablemente lo bastante habitual como para que los escribas o copistas, para simplificar el uso de un texto, empezaran a separar cada palabra de sus entrometidas vecinas (…) Hacia la misma época, los escribas irlandeses (…) empezaron a aislar no sólo partes del discurso, sino también los componentes gramaticales de una frase e introdujeron muchos de los signos de puntuación que utilizamos hoy en día. » (p.110)

« (…) por medio de la lectura silenciosa el lector era por fin capaz de establecer una relación sin restricciones con el libro y las palabras. Estas últimas  no necesitaban ya ocupar el tiempo requerido para pronunciarlas. Podían existir en un espacio interior (…) mientras los pensamientos del lector las inspeccionaban con calma, sacando de ellas nuevas ideas (…) (p.113)

« A algunos dogmáticos les inquietó la nueva tendencia; para ellos la lectura silenciosa permitía soñar despierto, creando el peligro de la acidia, el pecado de la pereza, « mortandad que devasta en pleno día. » {ver Giannini sobre el aburrimiento} « Pero la lectura silenciosa trajo consigo otro peligro (…) Un libro que puede leerse en privado, sobre el que se reflexiona a medida que el ojo desentraña el significado de las palabras, no está ya sujeto a inmediata aclaración o asesoramiento, ni a condena o censura por parte de un oyente. » (p.113-114)

Fuente : Alberto Manguel, Una historia de la lectura, Alianza editorial, 2013 (1998).

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Macé sur lecture et vie

« L’activité de lecture nous fait éprouver à l’intérieur de nous ces formes comme des forces… »

Mur chateau mousseDans l’ouvrage « Façons de lire, manières d’être », un titre qui parle, Marielle Macé explique que la lecture et la vie ne vont pas sur des rails séparés. Par la lecture nous donnons forme, saveur et style à notre existence.

Voir aussi « Ouaknin sur la lecture« , « Manguel sobre lectura silenciosa« , « Manguel sobre lectura y mundo« .


 » (…) les livres offrent à notre perception, à notre attention et à nos capacités d’action des configurations singulières qui sont d’autant des « pistes » à suivre. Les formes qu’ils recèlent ne sont pas inertes, ce ne sont pas des tableaux placés sous les yeux des lecteurs (d’ailleurs les « tableaux » non plus ne sont pas cela), mais des possibilités d’existence orientées. L’activité de lecture nous fait éprouver à l’intérieur de nous ces formes comme des forces, comme des directions possibles de notre vie mentale, morale ou pratique, qu’elle nous invite à nous réapproprier, à imiter, ou à défaire. » (p.14)

« Voilà de qui est à comprendre : la manière dont des lecteurs diversement situés sont amenés à prendre les textes comme des échantillons de l’existence, la façon dont ils en usent comme des véritables démarches dans la vie. » (p.16)

Source : Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, Gallimard, 2011. Pages 14 et 16.

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