Camus sur le suicide

« Le ver se trouve au coeur de l’homme. C’est là qu’il faut le chercher »

arbre coeur noirDes actes terroristes qui ébranlent nos sociétés on peut dire que l’homicide est commis, mais que le suicide n’est pas omis. Inutile certes de chercher à ces actes une cause unique, il s’agit d’un phénomène complexe — d’une « complexité avec exposant ». Mais que dire de la tendance suicidaire qui l’accompagne ? Peut-on se satisfaire de la promesse d’un autre monde, paradisiaque, pour l’expliquer? Ou mieux vaut rappeler, avec Albert Camus, que si l’on désire quitter ce monde c’est que l’on s’y trouve mal. Que l’on se tue parce qu’on croit que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, cela relève pour ce penseur du truisme. La société n’aurait pas grand-chose à y voir, car le ver du suicide est au départ dans le cœur de l’homme. La bombe humaine est, pour ainsi dire, minée de l’intérieur. 

Voir aussi Freud sur la guerre, Le Bon sur la psychologie des foules, Freud sur les masses, Ricoeur sur la violence, Ionesco sur la vacuité, Enríquez Gómez sur l’Inquisition, De Swaan sur Arendt et la banalité du mal.


« Se tuer, dans un sens, (…), c’est avouer. C’est avouer qu’on est dépassé par la vie ou qu’on ne la comprend pas. (…). C’est seulement s’avouer que « cela ne vaut pas la peine ». Vivre naturellement n’est jamais facile. On continue à faire les gestes que l’existence commande, pour beaucoup de raisons dont la première est l’habitude. Mourir volontairement suppose que l’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance. » (p.256)

« L »absurde c’est la raison lucide qui constate ses limites » (p.283)

« Le sentiment de l’absurdité au détour de n’importe quelle rue peut frapper à la face de n’importe quel homme.  » (p.260)

« D’un gérant d’immeubles qui s’était tué, on me disait un jour qu’il avait perdu sa fille depuis cinq ans, qu’il avait beaucoup changé depuis et que cette histoire « l’avait miné ». On ne peut souhaiter de mot plus exacte. Commencer à penser, c’est commencer d’être miné. La société n’a pas grand chose à voir dans ces débuts. Le ver se trouve au coeur de l’homme. C’est là qu’il faut le chercher.(p. 256)

Source : Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, in Oeuvres, Quarto-Gallimard, 2013.

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