Nizon sur la rêverie

« Le rêveur éveillé est un être qui anticipe la vie en rêvant. »

gaviota avilés

La rêverie. Ce voyage intérieur et solitaire, errance sans support autre que la divagation et le hasard.  Est-ce juste le propre du bon a rien, de celui qui cherche à s’évader du monde, en laissant filer le temps pour ne pas y être ? Ou, peut, au contraire, être aussi une expérience enrichissante, source de pensée, favorisant la créativité et l’ouverture ? C’est la deuxième option que défends Paul Nizon dans les citations que nous proposons ici.

Voir aussi Bachelard sur la maison, Schulz sur jeunesse et rêve, Winnicott sur la capacité d’être seul, Winnicott et sur créativité et soumission.


« Un propre à rien est un rêveur éveillé, mais le rêve éveillé n’est pas obligatoirement une mince affaire. Je pense que le caractère poétique a toujours eu à voir avec le rêve éveillé. Le rêveur éveillé est un être qui anticipe la vie en rêvant. Il reste couché sous l’arbre de la vie mais ne cherche pas à y monter avec une petite échelle, il ne l’escalade pas parce qu’il craint en grimpant, et surtout en montant dans l’arbre, non seulement de perdre de vue en un clin d’oeil ce bel arbre rond plein de mystères et de promesses, ce point de vue, cet instant, mais encore de le perdre tout à fait et pour toujours. S’il se trouvait dans l’arbre il ne pourrait en tout cas plus l’admirer.

« Le rêveur éveillé est exigeant, il ne voudrait pas se contenter de miettes, il ne voudrait pas devenir une fourmi dans cet arbre. Il ne lui est pas possible de s’emparer totalement de l’arbre. Ainsi pour lui, rester-couché-sous-l’arbre est avoir une forme de pro-jet, un avoir dans la tonalité du moi.

« Le rêve éveillé est une forme d’amour de la vie, une gravidité dont on a le pressentiment, une forme de conscience rêveuse de la vie » (p.36)

Source : Paul Nizon, Marcher à l’écriture, Actes Sud, 1991.

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Arendt sur solitude et désolation

« La solitude peut devenir désolation. Cela se produit lorsque, tout à moi-même, mon propre moi m’abandonne. »

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Un psychanalyste et une philosophe qui parlent de façon analogue d’un sujet, même s’ils le font à partir d’expériences et de théorisations différentes.  Il s’agit de Donald Winnicott et d’Hannah Arendt sur la question de la solitude et de la dépendance entre l’individu et son entourage.

Winnicott a décrit l’expérience « réussie » de solitude chez le nourrisson (voir « Winnicott sur la capacité d’être seul« ). Le nourrisson doit pouvoir se laisser aller paisiblement à ce qu’il observe et ressent, sans aucune crainte, tout à lui-même. Une « réussite » tributaire de la présence rassurante de la mère ou de personnes qui comptent pour lui. A contrario, « l’échec » fera du nourrisson un adulte anxieux ne supportant pas la solitude, qu’il ressentira comme une coupure insupportable du reste du monde.

Hannah Arendt distingue solitude de désolation. Dans la solitude, l’individu se sent bien et peut créer, réfléchir, se reposer et se ressourcer (elle rejoigne ainsi la « solitude réussie » de Winnicott). Dans la désolation l’individu se sent totalement isolé et coupé du monde, comme détruit :  l’homme dé-solé n’a plus de racines, plus de « sol » sur lequel s’appuyer. Ce serait la situation où sont placés les individus par les régimes totalitaires.

Ainsi, pour les deux penseurs le mode d’intériorisation de l’environnement dans le moi de l’individu est déterminant de son vécu de la solitude. Les deux réfléchissaient à ces questions à peu près dans les mêmes années de l’après 2ème guerre mondiale.

Une collaboration signée Annette Campo.


« Dans la solitude je suis, en d’autres termes, « parmi moi-même », en compagnie de moi-même, et donc deux-en-un, tandis que dans la désolation je suis en vérité un seul, abandonné de tous les autres » (…) La solitude peut devenir désolation. Cela se produit lorsque, tout à moi-même, mon propre moi m’abandonne ».  (p.228)

« Ce qui rend la désolation si intolérable c’est la perte du moi, qui, s’il peut prendre réalité dans la solitude, ne peut toutefois être confirmé dans son identité que par la présence confiante et digne de foi de mes égaux. Dans cette situation, l’homme perd la foi qu’il a en lui-même comme partenaire de ses pensées et cette élémentaire confiance dans le monde, nécessaire à toute expérience. Le moi et le monde, la faculté de penser et d’éprouver sont perdus en même temps ». (p.229)

Source : Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme – Le système totalitaire, Ed du Seuil 1972. Pages 228 et 229.

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Winnicott sur la capacité d’être seul

« Le fondement de la capacité d’être seul est l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un. »

Beaucoup de personnes ne supportent pas d’être seules. Elles vivent la solitude comme une souffrance, voire comme une véritable torture, et cherchent une compagnie à n’importe quel prix, même au prix d’être malmenées. 

Oeuvre de Dani Blic
Oeuvre de Dani Blic

Etre seul et en profiter, y trouver du plaisir, n’est pas donné à tout le monde.

Selon le psychanalyste Donald Winnicott, c’est en fait une « capacité » qui se forme chez le tout petit enfant sous certaines conditions, et c’est « l’un des signes les plus importants de la maturité du développement affectif ». La capacité à être seul, serait précédée d’une première expérience de solitude, qu’il appelle « forme non élaborée de solitude », une forme paradoxale car elle requiert la … présence de la mère, ou de toute personne de l’environnement habituel du petit enfant.  

Collaboration signée Dvora.

Voir aussi Winnicott sur la frustration du jeune enfant et sur créativité et soumission. Sur la relation mère, enfant, solitude voir également García Lorca sobre la soledad et Appelfeld sur la mémoire.


« Le fondement de la capacité d’être seul est l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un. De cette façon, un petit enfant, qui possède une faible organisation du moi, est capable d’être seul grâce à un support du moi sûr ».  (p.212)

« Quand il est seul dans le sens où j’emploie ce mot, et seulement quand il est seul, le petit enfant est capable de faire l’équivalent de ce qui s’appellerait se détendre chez un adulte. Il est alors capable de parvenir à un état de non-intégration, à un état où il n’y a pas d’orientation; il s’ébat, et pendant un temps, il lui est donné d’exister sans être soit en réaction contre une immixtion extérieure, soit une personne active dont l’intérêt ou le mouvement sont dirigés.  (…) Dans ce cadre, la perception (…) sera ressentie comme réelle et constituera vraiment une expérience personnelle ». (p.210)

Source : Donald Winnicott, La capacité d’être seul in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969. Pages 210 et 212.

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García Lorca sobre la soledad

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« Cuando me cubre cumple con su deber, pero yo le noto la cintura fría como si tuviera un cuerpo muerto… »

 

Yerma, un nombre que ya suena como quejido. Una mujer casada sin amor, un hombre ausente, obsesionado por la honra y el qué dirán. Rodeada sólo de campo, confinada en el hogar, vigilada, Yerma sueña con un hijo que ni naturaleza ni su marido le quieren dar. Quizás para escapar a la soledad.

« El va con sus ovejas por sus caminos y cuenta el dinero por las noches. Cuando me cubre cumple con su deber, pero yo le noto la cintura fría como si tuviera un cuerpo muerto y yo, que siempre he tenido asco de las mujeres calientes, quisiera ser en aquel instante como una montaña de fuego. » (p92-93)

« Mira que me quedo sola. Como si la luna se buscara ella misma por el cielo. ¡Mírame! » (p.97)

Fuente : Federico García Lorca, Yerma, poema trágico en tres actos y seis cuadros, Ed. Cátedra, 2009 (1934). Páginas 92-93 y 97.

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Bachelard sur la maison

« (…) si l’on nous demandait le bienfait le plus précieux de la maison, nous dirions : la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. » (p.25-26)

« (…) la maison est une des plus grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme. Dans cette intégration, le principe liant, c’est la rêverie. » (p.26)

« Et tous les espaces de nos solitudes passées, les espaces où nous avons souffert de la solitude, désiré la solitude, joui de la solitude, compromis la solitude sont en nous ineffaçables. Et très précisément, l’être ne veut pas les effacer. Il sait d’instinct que ces espaces de sa solitude sont constitutifs. Même lorsque ces espaces sont à jamais rayés du présent, étrangers désormais à toutes les promesses d’avenir, même lorsqu’on n’a plus de grenier, même lorsqu’on a perdu la mansarde, il restera toujours qu’on a aimé un grenier, qu’on a vécu dans une mansarde. » (p.28)

Ces citations de Gaston Bachelard, dans « La Poétique de l’espace », résonnent avec celles de « Schulz sur la maison« , de « Chamoiseau sur maison et enfance« , de « Proust sur les Petites Madeleines« , de « Modiano sur oubli et mémoire« , de Rilke sur le désir d’écrire. Le philosophe  français soutient que, dans ses recoins, sa cave, son grenier, sur l’escalier, la maison est habitée par nos songes d’autrefois, nos rêveries, nos moments de solitude intime. Ces trésors des jours anciens, nous pouvons les visiter, les revivifier par le souvenir et l’imagination, par nos rêveries actuelles. Des rêveries qui éveillent des rêveries (endormies). Ce qu’il illustre avec ces vers d’André Lafon, (« Poésies. Le rêve d’un logis », p.91) :

Logis pauvre et secret à l’air d’antique estampe
Qui ne vit qu’en moi-même, où je rentre parfois
m’asseoir pour oublier le jour gris et la pluie.

Voir aussi Nizon sur rêverie.


Source : Gaston Bachelard, « La poétique de l’espace« , Presses Universitaires de France, 2014. Pages 25-26.

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